Conseils lecture
Alice et Alex se rencontrent chez leur couturier alors qu’ils passent tous deux commande pour des vêtements d’été. Leurs regards se croisent, ils se sourient, et c’est le coup de foudre… « Revenez la semaine prochaine, à la même heure », dit le couturier. La semaine qui va passer va être, pour Alice et Alex, la plus longue de leur vie… Alice et Alex est de ces albums qui reste danser devant nos yeux bien après l’avoir refermé. Nous pourrions le relire 10 fois que nous n’aurions toujours pas tout exploré, tout découvert. Tout dans cet album est une invitation au voyage, à la poésie, à la rêverie : la beauté des illustrations, que ce soit dans la maîtrise du trait empreint de poésie ou dans la palette de couleurs utilisées, l’architecture dans laquelle les personnages évoluent et qui nous rappelle les plus beaux palais d’Orient... L’ambiance art déco et l’omniprésence végétale nous font tout de suite penser à des paysages lointains et merveilleux. Les costumes magnifiques d'Alice et Alex méritent à eux seuls une lecture attentive : ils sont si bien réalisés qu’on peut presque sentir la texture des étoffes à travers les pages. Nos deux élégants se sont bien trouvés : ils apprécient tous deux l’esthétique et la beauté des choses du monde. Les doubles pages se font face : celle de gauche pour Alice, celle de droite pour Alex. Et dans ce jeu de miroir, un doute s’immisce en eux : et si leur amour n’était pas réciproque ? Le texte utilise des phrases courtes, dont le rythme n’est pas sans rappeler le cœur qui s’emballe lorsque l’on voit un être aimé : comme un coup de foudre qui prendrait sa source dans un paradis rétro et luxuriant. Coup de cœur assuré pour ce magnifique album, aux illustrations et aux textes si poétiques, et qui nous parle d’un beau sentiment universel : l’amour ! - Nolwenn
« Le petit illustré de l’intimité » est une série de deux petits livres au contenu riche et instructif. Chaque volume présente un sexe : la vulve pour l’un, le pénis pour l’autre.
Ces titres permettent d’aborder librement et surtout sans tabous les questions de sexualité. Ils traitent aussi bien de l’organe en tant que tel, mais aussi du genre, du consentement et d’égalité.
Les illustrations, précises et détaillées permettent de connaitre son corps pour mieux le comprendre, mieux l’appréhender.
Deux titres importants, à lire, à faire lire, à discuter avec vos enfants pour certainement un meilleur épanouissement...
La Justice League, la célèbre équipe de super-héroïnes et de super-héros, a beaucoup de travail pour sauver le monde de terribles menaces. Cependant, par moment, ses membres trouvent un peu de temps pour regarder leurs mails et répondre à leurs nombreux admirateur·rices... « Chère Justice League » est un récit jeunesse de « super·es », cependant il n'est en rien comparable avec ce qui se fait habituellement. Oh bien sûr, il va être question d'une menace sur notre planète, d'une bataille pour notre civilisation, mais cette intrigue est relayée au deuxième, voire troisième plan. Le plus important pour nos personnages est de répondre aux questions des fans et surtout, de répondre sincèrement : Superman fait-il des erreurs ? A force de vivre sous l'eau, Aquaman sent-il le poisson ? Et bien d'autres questions et réponses à découvrir ! Ce titre humoristique ravira petit·es et grand·es lecteur·rices, car aussi drôle que soient les réponses, c'est surtout la façon de les amener qui l'est encore plus. Bien sûr, les illustrations jouent également un rôle majeur dans le rendu général. Wonder Woman, Batman et compagnie sont croqué·es avec un style « cartoon », les visages et les postures, sont légèrement exagéré·es pour donner un effet des plus caustiques. « Chère Justice League » est un titre à part dans ce genre états-uniens, léger et rafraîchissant, il ne procure que du bien-être. - Michaël
Zidrou, auteur prolifique s'il en est, nous livre une fois de plus un récit teinté d’humanisme et d’émotions. Pas de mièvrerie ou de sentimentalisme exacerbé, non simplement le ton juste. Cette fois, il aborde le thème de l'adoption, vu, non pas des parents ou de l'enfant, mais des grands-parents. Car, peut-on accepter aussi facilement d’être grands-parents, grand-père, d’un enfant que l’on ne connait pas et qui n’est pas de votre sang ? Après un début poussif, le récit se met en place, et nous nous laissons embarquer par ce duo improbable. Illustré subtilement par Arno Monin (voir page 48), le découpage se met au service du récit et lui rend honneur. Une série à suivre... - Michaël
Lapin et chien sont amis. Lapin vit dans un champ de blé bordé par une route qu’il n’a jamais empruntée, même si chaque nuit il en rêve. Chien était un aventurier, avec sa moto il avait passé l’essentiel de sa vie à parcourir les routes du pays. Maintenant il est trop vieux et trop malade pour partir. Alors il rend visite à Lapin et lui raconte ses voyages chaque jour.
Puis un jour Chien n’est plus là. Lapin reste seul avec la moto…
Kate Hoefler écrit une tendre histoire sur l’amitié, le temps qui passe, l’absence, la mort sans que jamais le mot ne soit nommé. C’est aussi une réflexion sur le désir de tenter l’inconnu et la peur qui nous en empêche. Sarah Jacoby propose de belles illustrations aux teintes pastel qui traduisent bien les émotions de Lapin. Les doubles pages en aquarelles format panoramique évoquent parfaitement le voyage et le sentiment de liberté. Chien disait : « le monde est beau si tu as le courage d’aller voir. Parfois tu peux te sentir dans de nouveaux endroits comme avec de vieux amis ».
Un album touchant et émouvant
Il y a des livres qui marquent, qui ne laissent pas indifférent·e. "confiné•es", est de ceux là. Cet ouvrage est le témoignage unique et sincère d’une ville qui, comme toute la France, s’est confinée le 17 mars 2020. Œuvre de mémoire, les 55 témoignages qui composent ce recueil, sont des moments intimes partagé•es par les Divattais•es, confiné•es, mais ensemble face à cette étrange période. "confiné·es" est bien plus qu’un livre, il est notre mémoire.
C’est l’histoire d’un jeune homme qui a tout perdu. Alors sur les conseils d’un escargot, il décide d’aller voir « celui-qui-sait-tout », un vieil ermite vivant en haut de la montagne. En chemin, il va faire d’étranges rencontres, mais rien ne pourra le détourner de sa quête : retrouver sa chance... Que voici un album étonnant ! Destiné à un public jeunesse, il s’adresse également aux plus grand·es. Certain·es y verront une bonne petite comédie alors que d’autres y décèleront un message beaucoup plus subtil. Car ne vous y trompez pas, ce titre, certes court, invite à une certaine réflexion. La chance, ou par extension le bonheur, sait-on simplement le reconnaître et le saisir lorsqu’il se présente à nous ? Une question bien philosophique qui ne trouvera pas de réponse en seulement 30 planches, mais que ce charmant récit éveille. Pozla illustre son propos de façon dynamique, pas de gaufrier apparent, mais des vignettes sans bord et parfois sans décors donnant rythme et aération. Le trait est également vif, nerveux, rehaussé d’un lavis de couleurs restreintes. « L’homme qui courait après sa chance » fait partie de l’excellente collection jeunesse « Les enfants gâtés » de Delcourt, une histoire complète dans un format de récit court dont les pages très grandes, laissent plus de place à l’émerveillement. - Michaël
En partant à la chasse, un paisible marchand sauve la vie d’un serpent. Il ne se doute pas que ce geste de bonté va le faire basculer dans un monde étrange, magique et peuplé de créatures incroyables. Il devra alors apprendre à composer avec l’inexplicable et surtout faire des choix, des promesses qui auront des conséquences bien plus douloureuses qu’il ne pense... « Le roi des oiseaux » est une bande dessinée jeunesse inspirée du folklore russe. On y trouve une variété de personnages attachants et hauts en couleur. Ils ont pour lien le marchand, qui joue le rôle de provocateur de destins. Le récit est riche en actions et se compose de différentes parties. Elles constituent chacune, à n’en pas douter, la relecture d’un conte russe. Liées, elles offrent une saga mémorable où l’on ne s’ennuie jamais. Les valeurs telles le courage, l’honneur et la générosité transparaissent à la lecture de cette œuvre dont les épreuves sont certes multiples pour nos héros, mais dont le message est résolument positif. Alexander Utkin n’est pas seulement un conteur hors pair, il est également un illustrateur de classe mondiale. Ses illustrations sont magnifiques, un style rétro, des couleurs chatoyantes : il offre des planches tantôt douces, tantôt impressionnantes, mais toutes d’une exceptionnelle beauté. « Le roi des oiseaux » est une œuvre remarquable qui fascinera les enfants comme les adultes par sa profondeur et son univers foisonnant. - Michaël
En vidant les poches d'Alice, qu'est-ce que vous y trouverez ? une clé ? une tasse de thé ? et celle du petit chaperon rouge, assurément une belle galette et quelques fleurs cueillies au bord d'un chemin...
C'est en vidant les poches de son petit garçon, un soir, et en s'imaginant sa journée, qu'Isabelle Simler s'est demandé ce qu'on trouverait dans celles de nos personnages préférés... Grâce à une illustration bien maîtrisée, et une imagination débordante, cet album nous fait (re)découvrir les contes... à sa façon !
Nolwenn
Les éditions Martin de Halleux, par un remarquable travail éditorial, font revivre l'oeuvre de Frans Masereel. Ce Belge, un peu oublié aujourd'hui, est l'un des pères du roman sans parole. A la fois peintre, dessinateur, graveur sur bois, il était aussi un artiste engagé, reconnu pour son humanisme et son combat de défense du peuple contre le capitalisme. Pacifiste convaincu, il diffusait ses valeurs grâce à ses livres dont les gravures racontent et dénoncent cette société de l'entre-deux-guerres. Ses livres, qu'il a souhaité accessibles à tous tant dans le fond que la forme, mais aussi par leur prix, ont fait de lui dans les années 1930, un des étendards de la lutte ouvrière allemande. Son oeuvre, aujourd'hui remise en lumière, accompagnée de dossiers explicatifs, éblouit encore par sa réalisation technique titanesque et par le combat de sa vie : la défense des oublié·es, des opprimé·es. Les éditions Martin de Halleux offre à cette œuvre un nouvel et bel écrin qu’il serait dommage d’ignorer. L’Espace COOLturel vous permet de lire les titres à la mode, mais a aussi le rôle de donner à des ouvrages plus intimes, la visibilité, la vitrine qu’ils méritent. C’est chose faite ! - Michaël
Lip dip paint : la technique du marquage aux lèvres. C’est le refrain qu’entonne chaque nouvelle ouvrière de l’usine de montres de luxe USRC afin de peindre le cadran de ces petites merveilles. Edna entonne avec insouciance et confiance ce nouveau mantra lorsqu’elle rejoint les établis de l’usine en 1918 auprès de Grace, Katherine et de quelques autres. Une osmose se crée entre les « ghost girls », silhouettes luminescentes dansant au sein de la nuit et de la prohibition. Phosphorescentes, elles le sont devenues car la peinture fournie par leurs patrons est composée de radium, qui lentement les empoisonne. Facile de les suivre dans la nuit... Edna, dont la santé commence à vaciller, trouve de l’aide auprès du médecin de l’usine testant de nouvelles prophylaxies et de quelques beaux esprits indépendants. L’occasion de s’interroger sur le système d’exploitation mis en place sans le consentement de ses petites mains. Avec ses crayons de couleurs, savamment limités à un camaïeu vert radium (forcément !) et violet, Cy nous plonge dans l’univers de ces jeunes ouvrières américaines sacrifiées sur l’autel du ‘progrès’. La beauté des planches alliée à la fraîcheur de ces jeunes femmes offrent un contraste saisissant avec le cauchemar qui s’annonce et envahit les pages au fil du récit. Un bel hommage qui rend justice à ces femmes bien souvent mortes dans la misère et l’indifférence collective parce qu’anonymes et pauvres.
En 2018 à Moscou, un père succombe sous les coups de ses trois filles âgées alors de 17, 18 et 19 ans. C’est le point de départ du roman de Laura Poggioli qui tout au long de son ouvrage, tente de comprendre comment trois jeunes femmes peuvent concevoir un tel acte et le mettre à exécution. Grâce à de nombreuses archives elle recompose le quotidien de ces trois filles et de leur mère depuis leur enfance jusqu’à ce jour fatidique où elles passent à l’acte. On découvre alors un père qui n’en a que le nom, tyrannique, abusif, violent, un monstre en quelque sorte et une société russe complice où patriarcat et tradition légitiment les violences faites aux femmes, où la corruption, la religion et le communautarisme murent les victimes dans le silence.
Le récit ne s’arrête pas là car il trouve une résonnance particulière dans l’histoire personnelle de l’autrice. Elle aime profondément la Russie pour y avoir vécu à plusieurs reprises, pour avoir appris sa langue, aimé ces habitants. Elle se souvient tout au long du roman des moments passés là-bas, de ses amis, du bonheur partagé, de cette société attachante et contradictoire. Elle se souvient aussi de ce petit ami violent « Mitia », comment avait-elle pu accepter son comportement ? Elle se souvient de toutes les violences dont elle a été victime, de celles qui ont été faites à ses aïeules dans une autre société, en France. Et c’est là toute la force de ce livre. Non, les violences faites aux femmes ne sont pas une pratique barbare d’un autre pays, d’une autre culture ! Elles existent partout, au quotidien, jamais anodines et toujours insupportables.
Un roman parfois dur mais absolument nécessaire, qui vous met en face de vos responsabilités, comme les trois regards qui vous fixent sur la couverture du livre. Ceux de ces trois jeunes Moscovites : Krestina, Maria et Angelina, si lointaines et si proches, sacrifiées comme tant d’autres sur l’hôtel du patriarcat.
Conseils lecture
Le lieutenant Yamada n’est plus vraiment l’homme qu’il était. Après la mort accidentelle de sa fille et le départ de sa femme, il est devenu un personnage bien terne, mais comment lui en vouloir ?! Après une descente dans une maison close maquillée en salon de massage, il rencontre Shiori, une lycéenne fugueuse qui lui rappelle sa propre fille. Cette rencontre va le bouleverser et il n’aura de cesse dès lors de venir en aide à cette jeune désemparée... Keigo Shinzo, par le biais de la fiction, nous dépeint un pan peu reluisant de la société japonaise : celui de la prostitution estudiantine. Ces jeunes filles, fugueuses et/ou sans un sou, pour survivre ou continuer leurs études, sont abusées par des hommes peu scrupuleux. Problème social alarmant, le « JK business » (JK pour Joshi Kosei qui se traduit par lycéennes japonaises) attire malheureusement beaucoup de filles qui, dans l’idée de se faire beaucoup d’argent en peu de temps, tombent rapidement dans la prostitution, aux griffes de la mafia et mettent leur vie en danger. L’auteur alimente également le récit par un autre élément dramatique, celui du deuil et de l’absence. Chaque personnage incarne une forme de désespoir, d’appel au secours, qui, s’il est crié par l’un·e est entendu·e par l’autre. On ne tombe pas dans le misérabilisme, certainement pas, mais plutôt dans une forme d’espoir en la nature humaine. Car, ce qui ressort le plus, à la lecture de cette bande dessinée, c’est avant tout la bonté et l’amour. Les illustrations, en noir et blanc, sont classiques, mais l’auteur nous gratifie par moment de gros plans extrêmement expressifs des visages de nos personnages, changeant ainsi le rythme de l’histoire et accentuant aussi son aspect dramatique. « Mauvaise herbe » est un titre sociétal à l’aspect rude, mais profondément humain. - Michaël
"Mourir (ça n'existe pas)" est un titre particulier, à l'atmosphère étrange, mais qui prend aux tripes et tout son sens à chaque page lue.
Vous rappelez-vous d’Humpty Dumpty, l’œuf perché en haut d’un mur dans « Alice au pays des merveilles » de Lewis Carroll ? Eh bien figurez-vous qu’il vient de tomber du mur ! Cet accident n’est pas très grave, mais il va radicalement changer sa vie… A partir de cet étrange postulat de départ, Dan Santat s’empare d’un personnage bien étrange et énigmatique qui est apparu dans une comptine du 16e siècle et immortalisé bien plus tard par Lewis Carrol : Humpty Dumpty. Dans cette version, le côté étrange du personnage a disparu, il est devenu un doux rêveur que son accident va mettre en difficulté, en détresse. Le doute, la peur sont dorénavant son quotidien, il devra faire un temps avec, puis les affronter pour enfin renaître. Ce récit sur la fragilité de l’être est magnifique, certes par moment triste, mais tellement porteur d’espoir qu'il en est en une véritable leçon de vie. Après un accident ou un échec, il est normal de douter, d’ailleurs par moment, ne faut-il pas se perdre pour se retrouver ? Le final est tout simplement magistral, tellement beau que l’émotion submerge n’importe quel·le lecteur·rice. Le récit est magnifié par le travail scénique et pictural de l’artiste, plongée, contre plongée, gros plans, plans d’ensembles, un véritable travail cinématographique qui donne du rythme et de la dramaturgie à l’ensemble. « Après la chute » est un album incontournable, résolument positif, à mettre entre toute les mains… - Michaël
Nous sommes en 2042. Des catastrophes naturelles ont eu lieu et les autorités sont passées à une transition écologique radicale. A travers la vie de Lisa, on découvre la vie quotidienne régie par les nouvelles technologies : drônes absolument partout qui contrôlent les moindres faits et gestes. En parallèle, le journal intime de la mère qui ne s’est jamais remise d’un amour perdu d’adolescence .Lisa cherche ce qui se cache derrière la mélancolie de sa mère qui n’a jamais su l’aimer. Ce roman d’anticipation dénonce les systèmes totalitaires et les états policiers. Ce n’est pas sans rappeler le Big brother de 1984 mais quand le roman d’Orwell est paru en 1949 c’était de la science-fiction alors qu’à la lecture de La mer monte, au ton, malgré tout humoristique, on prend conscience qu’on est déjà propulsé dans ce monde connecté
A lire absolument - Catherine
En 2018 à Moscou, un père succombe sous les coups de ses trois filles âgées alors de 17, 18 et 19 ans. C’est le point de départ du roman de Laura Poggioli qui tout au long de son ouvrage, tente de comprendre comment trois jeunes femmes peuvent concevoir un tel acte et le mettre à exécution. Grâce à de nombreuses archives elle recompose le quotidien de ces trois filles et de leur mère depuis leur enfance jusqu’à ce jour fatidique où elles passent à l’acte. On découvre alors un père qui n’en a que le nom, tyrannique, abusif, violent, un monstre en quelque sorte et une société russe complice où patriarcat et tradition légitiment les violences faites aux femmes, où la corruption, la religion et le communautarisme murent les victimes dans le silence.
Le récit ne s’arrête pas là car il trouve une résonnance particulière dans l’histoire personnelle de l’autrice. Elle aime profondément la Russie pour y avoir vécu à plusieurs reprises, pour avoir appris sa langue, aimé ces habitants. Elle se souvient tout au long du roman des moments passés là-bas, de ses amis, du bonheur partagé, de cette société attachante et contradictoire. Elle se souvient aussi de ce petit ami violent « Mitia », comment avait-elle pu accepter son comportement ? Elle se souvient de toutes les violences dont elle a été victime, de celles qui ont été faites à ses aïeules dans une autre société, en France. Et c’est là toute la force de ce livre. Non, les violences faites aux femmes ne sont pas une pratique barbare d’un autre pays, d’une autre culture ! Elles existent partout, au quotidien, jamais anodines et toujours insupportables.
Un roman parfois dur mais absolument nécessaire, qui vous met en face de vos responsabilités, comme les trois regards qui vous fixent sur la couverture du livre. Ceux de ces trois jeunes Moscovites : Krestina, Maria et Angelina, si lointaines et si proches, sacrifiées comme tant d’autres sur l’hôtel du patriarcat.
Aaron est un jeune étudiant à l’histoire a priori banale. Bien élevé et entouré de ses proches, il ne fait pas d’histoire, ne fait parler de lui. On pourrait presque dire qu’il a tout pour être heureux. Cependant, en silence, il souffre d’un mal inavouable…
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« Aaron » est un titre dérangeant, troublant. Prise de risque indéniable de la part de l’éditeur et de son auteur, le récit traite avec beaucoup de pudeur de déviance sexuelle. Le sujet, certes malaisant, est amené avec beaucoup de délicatesse grâce à une construction narrative d’une extrême lenteur. Les illustrations, cloisonnées dans un gaufrier pour l’essentiel de 12 cases par page, sont d’une remarquable réalisation. Tout en finesse et en précision, elles insufflent dès les premières pages une atmosphère particulière à l’album, une tranquillité, un calme avant la tempête.
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L’auteur ne juge pas, ne questionne pas, ne donne pas de remède, il nous permet simplement d’être les témoins d’un instant de vie déchirée. Aussi nous ne connaîtrons ni les prémices, ni la fin de l’histoire d’Aaron, simplement ce bref aperçu d’un homme qui se perd.
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Brillant de bout en bout, cette bande dessinée est puissante, intelligente et interpelle. À lire tout simplement.
Skender est un ex-légionnaire aux abois, trop de guerres, trop de violence, trop d’alcool et les mauvaises rencontres aux mauvais moments lui ont fait dégringoler l’échelle sociale en passant par la case prison. Il survit dans un bois en périphérie de la ville et de temps en temps, il se cache pour apercevoir ses enfants à la sortie de l’école. Bref, sa vie est dévastée, jusqu’au jours où il croise un vieille ami, Max, un ancien frère d’arme.
Une rencontre fortuite qui ne l’est pas. Max le piste depuis quelques semaines, il a une proposition à lui faire, devenir gibier pour son employeur, une riche veuve passionnée de chasse.
Jusqu’ici rien de très original, le thème de la chasse à l’homme a été visité et revisité maintes fois depuis l’excellent récit « Le plus dangereux des jeux » de Tod Robbins en 1925 (également disponible à la médiathèque). L’intérêt de ce roman ne réside donc pas dans ce point de départ un peu éculé, mais dans l’approche subtile et surprenante de l’auteur, le biais qu’il va prendre pour nous balader en forêt à mille lieux de là où l’on pensait arriver. Car ici il n’est question, ni de chasse, ni de traque, mais plutôt de sentiments, d’amitié, d’amour, de trahison des autres mais aussi de soi-même, de dignité, de rachat et peut-être de renaissance et de résurrection.
L’auteur nous plonge tour à tour dans les entrailles de ses trois personnages, Skender, Max et sa patronne. Peu à peu iels prennent forme comme un paysage, trois tableaux bruts et sensibles, qui s’assemblent pour former ce magnifique triptyque que constitue l’ouvrage de Lucas Belvaux.
Un roman particulièrement bien construit et profondément humain.
Des enfants, des adultes, quoi de plus banal. Tout le monde paraît être heureux, mais il n’en est rien. Les silences règnent, les silences pèsent. Certains adultes font du mal aux enfants et dans ce monde, qui ressemble beaucoup au nôtre, les cris de détresse sont rendus inaudibles par une étrange usine, qui s’appelle Grand Silence… « Grand Silence » est un conte pour adultes au sujet tabou, mais dont la médiatisation est de la plus haute importance afin de libérer la parole : celui des violences sexuelles commises sur les enfants. Les autrices, par ce récit poignant, illustrent parfaitement les travers de notre société en révélant les mécanismes moraux et sociaux qui engendrent le mutisme et le déni. Elles dénoncent et expliquent simplement par la métaphore comment une société peut fermer les yeux sur de tels actes et comment, on l’espère, y remédier. Ce titre est une réussite dans le message qu’il transmet. Alors oui, certes, le sujet est difficile, mais voilà, prendre conscience d’une chose, c’est déjà admettre son existence, le premier pas pour faire avancer notre civilisation qui, par certains égards, reste toujours inhumaine. Félicitations donc à ces autrices pour nous offrir matière à réflexion par un récit habilement mené et également illustré de façon remarquable.
Lorsque les parents se séparent, il n’est pas toujours facile pour un enfant de trouver sa place, surtout quand on a deux maisons pour deux nouvelles vies… Melanie Walsh, par cet album tendre et réfléchi, décrit simplement, en quelques mots, la vie des enfants de parents séparés. Les thèmes habituels de la douleur ou de l’absence sont volontairement absents de ce récit qui se concentre sur des aspects plus « prosaïques », mais pas moins importants.
Du coup, ce titre n’est pas plombant, au contraire, il est même positif et rassurant pour l’enfant. Par un système de rabats-surprises, l’autrice joue à nous faire découvrir la vie chez l’un, puis chez l’autre, sans jamais donner un jugement de valeur. Elle conclut son histoire avec douceur et laisse entrevoir la multitude de facettes que peut prendre l’amour familial. « Chez papa et chez maman » est un album incontournable sur la thématique de la séparation qui ne l’expliquera pas, mais qui saura rassurer nos enfants sur le quotidien, leur avenir et l'amour que leur portent leurs parents. Et c’est bien cela le plus important. - Michaël
Aude, 24 ans, commence une nouvelle et jolie histoire avec Christophe. Un coup de foudre puis une relation à distance, qui semble une évidence. Sans qu’elle s’en rende compte, le cours de sa vie a pourtant pris un tournant : malgré ses précautions, elle est enceinte. Après la stupeur, le déni, la colère, vient le parcours médical. Et la décision qu’il faut prendre : Aude opte pour l’avortement. Ce récit se fait à deux voix : celle qui a vécu cette épreuve, l’auteure, et celui qui accompagne, qui soigne, en la personne de Martin Winckler. Ce dernier livre son expérience médicale à double titre : du praticien de ce geste si particulier qu’est l’IVG, et du soignant empathique à l’écoute des nombreuses et si diverses patientes qu’il a assistées dans ce parcours. Le témoignage de l’auteure est à lire aussi bien par les femmes, concernées ou non, que par les hommes car il éclaire les mécanismes complexes qui entrent en jeu dans ce deuil. Rien n’est épargné au lecteur : le tourbillon émotionnel de la grossesse puis de l’avortement, la solitude de certaines femmes face à cette situation, la douleur de la fausse couche ou encore la lente et difficile réappropriation de son corps. Des larmes et du sang. Beaucoup… et la nécessaire bienveillance du corps médical et soignant. Une histoire de femme(s) racontée de manière à la fois délicate et violente, d’une sincérité bouleversante. - Michaël
Jen n’a eu d’autre choix que de partir vivre avec sa maman à la campagne... Et en plus pour s’occuper d’une ferme… Mais le pire de tout, elle doit habiter avec le nouveau compagnon de sa mère et ses deux filles dont une insupportable « Mademoiselle-je-sais-tout »…
Cette bande dessinée américaine, inspirée par la propre vie de l’autrice, est une vraie bouffée d’air frais. Le récit, malgré la thématique classique du changement de vie, arrive à nous surprendre et à nous captiver jusqu’à la fin. Cela est dû au travail d’écriture qui rend les personnages vrais et vivants par des dialogues de la vie de tous les jours.
Les sentiments de Jen évoluent au fur et à mesure des situations : tantôt désabusée, tantôt pleine d’espoir, en colère ou triste. Une cartographie complète de ce qu’est l’adolescence.
Estampillé jeunesse, ce récit feel-good est à prescrire à tous et toutes tant il est porteur de bien-être.
Voici une série jeunesse humoristique très réussie. Fabrice Parme nous raconte les histoires d’une petite fille riche, pleine d’énergie et de malice qui a tendance à s’ennuyer… Et de là, viennent les problèmes… Subtil mélange entre «Les petites filles modèles» et «Les petites Canailles», les récits d’Astrid Bromure sont drôles, pêchus et nerveux. Écrit avec finesse et élégance, chaque album est un récit complet et tient en haleine jusqu’au bout, car si l’humour est présent, il n’est que le vecteur d’histoires extraordinaires pleines de malice et de tendresse. Du très grand Parme, mais nous n’en attendions pas moins d’un très grand auteur/illustrateur. - Michaël
Linus Baker travaille pour le Ministère de la Jeunesse Magique, et son quotidien tranquille et solitaire est perturbé par une mission de la plus haute importance : se rendre sur une île qui abrite un orphelinat hébergeant des pensionnaires aux pouvoirs extrêmement dangereux… Et écrire un rapport complet sur cet établissement.
Au fil des pages, on découvre un personnage principal très attachant qui a du mal à quitter sa zone de confort pour réaliser sa mission… et qui devra remettre en question ses préjugés pour faire les choix les plus justes. Les autres personnages ne sont pas en reste : les enfants de l’orphelinat et leurs caractères bien trempés ; Arthur Parnassus, leur tuteur qui se bat au quotidien pour les éduquer dans la bienveillance et, surtout, les protéger du monde extérieur et des discriminations…
C’est là le sujet principal du livre : la question des différences et des apparences, des préjugés et des discriminations. Sujet difficile, mais rendu accessible à un jeune public par ce roman tendre, plein de bienveillance, d’amitié et d’amour, et surtout d’espoir.
« Les plus grands changements débutent parfois par le plus petit des murmures. Les personnes qui partagent les mêmes valeurs le transforment simplement en rugissement. »
A l’heure des fake news et de la désinformation, l’Espace COOLturel vous propose de découvrir deux titres qui traitent de sujets médiatiques et sociopolitiques : “Pour une télé libre” et “Touche pas à mon peuple”.
“Pour une télé libre” de Julia Cagé, critique la logique d’un empire médiatique, en particulier le système Bolloré et appelle à la création de médias véritablement libres pour garantir la survie d’une pensée libre.
“Touche pas à mon peuple” de Claire Sécail, est un essai qui examine le populisme de Cyril Hanouna et son impact sur les principes du débat public et de la démocratie. L’autrice aborde la désinformation et la banalisation de la violence dans les échanges humains et citoyens.
Ces deux titres soulèvent des problématiques liées aux médias, à la démocratie et à la liberté d’expression. Ils invitent à la réflexion sur l’importance d’une information indépendante, libre et de qualité et d’une télévision qui serve l’intérêt public et non pas une propagande.
Le Prince héritier Sébastian de Belgique a un secret. Loin de l’image, du protocole que lui impose son titre, il est passionné de mode et aime à se travestir. Lors d’une soirée mondaine, il remarque le travail de Francès, jeune roturière couturière, qui sera désormais à son service. Tous deux, ils créeront le personnage énigmatique de Lady Crystallia, icône de la beauté et de l’élégance. Un tel secret peut-il rester caché de tous ? Surtout lorsque les sentiments s’en mêlent... Ouahhh que c’est bon, que c’est bien et à tout point de vue ! L’idée est originale, bien développée et nous réserve une fin imprévisible, mais de toute beauté. Ce titre est une merveille de bonté, de bienveillance. Il ravira les enfants, mais également les adultes, tant les messages qu’il véhicule sont positifs. Les personnages sont expressifs et attachants grâce au style coloré et clair de Jen Wang. Pour conclure « Le Prince et la couturière » est une œuvre tendre et audacieuse qui détourne avec brio les codes des contes d’antan. - Michaël
Masha, jeune adolescente, ne sait plus très bien qui elle est. En manque de repères, elle décide de répondre à une bien étrange annonce « URGENT, RECHERCHE ASSISTANT(E) : compétences en transport, cuisine et nettoyage exigées. Doit savoir obéir aux ordres. Avoir des pouvoirs magiques est un plus. Ne pas avoir le vertige est impératif. Entrez dans la maison de la Baba Yaga pour postuler. »... « L’assistante de la Baba Yaga » est un comics, bande dessinée américaine, destiné aux enfants. Ce récit complet mêle habilement irréel et quotidien grâce à différents niveaux de lecture. Loin d’être une simple histoire de sorcière, ce titre aborde des thèmes importants de (re)construction de soi. Le thème du deuil est sous-jacent, mais permet d’introduire la notion des origines et de l’importance de savoir qui l’on est afin de pouvoir devenir. Marika McCoola, avec une écriture limpide, livre un récit sans temps mort, avec du mystère, mais aussi et surtout du positivisme. Elle est aidée par les illustrations épurées et colorées d’Emily Carroll, renforçant l’atmosphère chaleureuse de l’ensemble. La bande dessinée jeunesse a fait sa mue et propose en parallèle aux récits humoristiques des titres au ton plus grave, plus subtil, aux univers riches et variés d’une grande force narrative. Si vous en doutez encore, je vous invite à lire mes anciens posts pour vous en convaincre. Les toutes jeunes éditions Kinaye ont bien compris cette évolution, qui se reflète dans leur catalogue. D’ailleurs voici leur ligne éditoriale : « notre maison d’édition a pour but de faire connaître aux enfants francophones des histoires inédites empreintes de modernité, construites autour de thèmes forts qui privilégient les valeurs humanistes avec une représentation des diversités, sans discrimination. Nous sélectionnons les ouvrages de notre catalogue pour leurs qualités aussi bien narrative qu’artistique, tout en veillant à ce qu’ils valorisent l’intelligence et la curiosité des enfants ». Cela semble bien alléchant, alors si tous ces titres à venir sont du même acabit que celui-ci, votre Espace COOLturel sera heureux de vous les faire découvrir.