Conseils lecture
Ours est vraiment très fatigué, il ne tient plus debout. C’est donc le moment pour lui d’aller se coucher et enfin se reposer. Enfin, pas vraiment, son voisin Canard, charmant au demeurant, est quelque peu bruyant, mais surtout incroyablement envahissant…
« Dis Ours, tu dors ? » est un album au ton humoristique et léger. L’auteur construit sa comédie autour d’une seule situation, mais agrémentée, page après page, de surprises, de répétitions et de beaucoup de folie. Il utilise simplement deux protagonistes, Ours et Canard, chacun dans un style différent, voire opposé et donc fonctionnant sur le modèle des spectacles de clowns : l'un est l'auguste (fruste, outrancier et désordonné), l'autre le clown blanc (sérieux, intelligent et rationnel). Les illustrations de Benji Davies jouent également un rôle important dans cette comédie. Son trait épuré montre l’essentiel, il ne s’encombre pas de décors, utilise certes un peu de texture, mais pas trop. L’important est de se focaliser sur les personnages, leurs faciès et autres postures sont irrésistibles !
« Dis Ours, tu dors ? » fait partie de la série « Dis Ours », dont chaque album procure un agréable moment de lecture et rend indéniablement accro à nos deux énergumènes.
C’est l’histoire d’un jeune homme qui a tout perdu. Alors sur les conseils d’un escargot, il décide d’aller voir « celui-qui-sait-tout », un vieil ermite vivant en haut de la montagne. En chemin, il va faire d’étranges rencontres, mais rien ne pourra le détourner de sa quête : retrouver sa chance... Que voici un album étonnant ! Destiné à un public jeunesse, il s’adresse également aux plus grand·es. Certain·es y verront une bonne petite comédie alors que d’autres y décèleront un message beaucoup plus subtil. Car ne vous y trompez pas, ce titre, certes court, invite à une certaine réflexion. La chance, ou par extension le bonheur, sait-on simplement le reconnaître et le saisir lorsqu’il se présente à nous ? Une question bien philosophique qui ne trouvera pas de réponse en seulement 30 planches, mais que ce charmant récit éveille. Pozla illustre son propos de façon dynamique, pas de gaufrier apparent, mais des vignettes sans bord et parfois sans décors donnant rythme et aération. Le trait est également vif, nerveux, rehaussé d’un lavis de couleurs restreintes. « L’homme qui courait après sa chance » fait partie de l’excellente collection jeunesse « Les enfants gâtés » de Delcourt, une histoire complète dans un format de récit court dont les pages très grandes, laissent plus de place à l’émerveillement. - Michaël
Stress a 37 ans, il est réalisateur et a une idée en tête, concevoir un film sur son quartier « Le panier », ou plus exactement sur ce qu’il était avant la « gentrification », quand sa bande et lui zonaient sur un banc en fumant des joints, un quartier populaire. Celui qui accueillait toute la misère de Marseille, loin des clichés d’aujourd’hui, vitrine de l’office de tourisme.
Stress, il voudrait tirer le portrait de cette époque révolue, retrouver ses potes et leur demander de témoigner, avant que son ancien quartier ne devienne définitivement un Disneyland pour les touristes que vomissent les paquebots chaque jour. Seulement Stress passe ses soirées de fêtes en fêtes vaguement à la recherche de financements pour son projet, parce que le fond du problème c’est qu’il est trop intransigeant avec les autres et pas assez avec lui-même… En attendant, quand il a besoin de thune il filme des mariages orientaux dans les quartiers nord.
Un merveilleux voyage à Marseille et dans le temps, fait d’allers-retours entre la ville d’hier et celle d’aujourd’hui. Une écriture percutante à l’image de ce personnage sans concessions. Un récit qui vous emporte et une force narrative du quotidien, les odeurs, la bouffe, les fringues, la musique, des habitudes et des attitudes décryptées à la loupe. Deux sociétés antagonistes, celle des pauvres d’hier, sans papiers, et des riches d’aujourd’hui, bobos, artistes, Parisiens immigrés, qui cohabitent à quelques années de distance. Un travail d’ethnographe moderne et une grande histoire d’amour, celle du héros et de sa ville qu’il voit changer, comme lui à l’aube de la quarantaine, et peu à peu oublier son passé. Un magnifique roman empreint de la nostalgie de celui qui quitte son pays malgré lui.
Pulchérie, la trentaine passée, prend enfin conscience de son corps, de son être et surtout d’un organe si souvent tabou : le clitoris.
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« L’affaire clitoris » est, comme le titre peut le sous-entendre, une bande dessinée de reportage. Nous allons, par une enquête minutieuse, partir à la découverte d’un organe féminin des plus importants et pourtant encore de nos jours très méconnu : le clitoris. Il est, selon la définition du Larousse, un « organe érectile de l'appareil génital féminin externe, principalement composé de deux bulbes bordant la vulve et d'un gland (ou clitoris au sens strict), situé au-dessus de l'orifice urétral. ». Très bien, mais encore… ? A quoi sert-il ? Comment est-il fait ? Et surtout, pourquoi depuis des siècles, il est invisibilisé dans nos sociétés patriarcales ? Tant de questions qui trouveront réponses dans cette excellente bande dessinée de vulgarisation. Science, philosophie, croyance sont autant de thèmes abordés par les autrices via cet organe de 10 cm qui n’est que depuis 2017 correctement représenté dans les manuels de SVT.
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Ce titre est classé dans nos rayons adultes, mais il peut vraiment être conseillé à un plus jeune public tant sa valeur est éducative et pédagogique, libératrice d’un plein épanouissement personnel.
Le roi a vu un dragon, non loin d’ici. Tant qu’on ne l’a pas vaincu, il ne voudra pas aller au lit. Alors trois de ses chevaliers s’en vont le chasser. Mais ces valeureux personnages ne voient pas très bien dans la nuit et confondent le féroce dragon avec tout ce qu’ils peuvent croiser : des lapins, des oiseaux ou même des ours…
L’humour de cet album réside dans un jeu d’illustrations en ombres chinoises et dans les erreurs à répétition que commettent nos courageux, mais pas très malins, chevaliers. En effet, la nature a décidé de leur jouer des tours et la nuit, tout prend la forme d’un dragon. Le niveau de lecture simple et accessible est à hauteur d’enfants pour les faire rire aux éclats aux dépends de nos trois énergumènes.
Les illustrations, tantôt sombres, tantôt colorées, offrent un rythme joyeux à l’ensemble. Elles fourmillent de petits détails à observer, qui ajoutent de la profondeur à l’histoire, comme les accessoires que tiennent nos chevaliers par exemple.
Si le concept des ombres chinoises a déjà été bien exploité dans la littérature jeunesse, cet album utilise cette technique avec beaucoup de justesse, tout en dépoussiérant par la même occasion les histoires de chevaliers ; pour le plus grand bonheur des petits et des grands.
Nolwenn
Silas Coade, chirurgien et écrivain à ses heures perdues, s'est embarqué dans une expédition à bord de la goélette du capitaine Van Vught et de son équipage. En quête d'un édifice mystérieux censé leur apporter gloire et fortune, ils écument les eaux de la mer de Norvège. Mais bien vite, on remarque quelques incohérences dans le récit. Anachronismes ? Oublis ? Erreurs du narrateur ? Patience, la vérité est à portée de main, pour vous autant que pour Silas.
Le roman, sous ses abords d'histoire d'aventures maritimes, cache quelque chose d'insoupçonné, bien plus grand que ce que vous pouvez imaginer… Au fil du récit, l'ambiance change, accompagnée par une écriture fluide qui s'adapte constamment à son évolution. Alastair Reynolds explore les tréfonds de la pensée du Docteur Coade, aussi perdu que les lecteurs dans cette étrange histoire, en posant au passage quelques questions sur les notions d'identité, d'humanité et d'empathie.
Un récit de science-fiction d'une grande originalité, dans lequel il est conseillé de se lancer sans lire le résumé !
Voici un livre à compter. Mais attention ! Il faut bien suivre la consigne : ici, on compte jusqu’à 1 ! et que jusqu’à 1 ! Sur la première page, ce n’est pas trop compliqué. Il y a une pomme : on peut donc la compter. Mais sur les autres pages, l’exercice se corse…
Ce livre rempli d’humour prend le contrepied des autres livres « pédagogiques » à compter, qui garnissent les étagères des librairies et bibliothèques en littérature jeunesse. En effet, ici, il s’agit plus de trouver le détail unique dans chaque page (et le compter), et d’observer les illustrations amusantes et colorées.
Le narrateur s’adresse directement à son·sa lecteur·rice et cela en devient un livre-jeu.
Finalement, on ne peut s’empêcher de braver les interdits et comptant tout ce qui se trouve dans le livre et en cela cet album est particulièrement réussi !
Un ourson explore son univers et ses sens à quatre pattes : les herbes qui chatouillent, les graviers qui piquent, la flaque d’eau qui mouille…
Au fur et à mesure de son parcours, l’ourson s’aventure presque jusqu’au bout du monde : mais est-il si loin que ça ? Le retour va se faire sur deux jambes pour retrouver des bras réconfortants. A travers cet album, Gaëtan Dorémus nous livre une belle histoire sur l’apprentissage de la marche chez les jeunes enfants, avec toutes les découvertes et les appréhensions que cela entraîne. Les illustrations et les couleurs sont surprenantes car elles se démarquent de ce qu’on a l’habitude de voir dans un album pour les plus petits. Dans un environnement coloré, le petit ourson est superbement croqué dans ses attitudes tantôt pataudes, tantôt enjouées, tantôt déséquilibrées au gré de ses pérégrinations.
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Un album original et fort, qui aborde avec douceur ce moment charnière dans la vie des tout-petits.
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Lila a toujours souffert d’un certain mal-être. Sa souffrance s’est accentuée à l’adolescence, elle, ou plutôt il, veut être lui-même, le vrai, pas celle dont le nom est inscrit à l’état civil. Lila souffre de dysphonie de genre, elle a le corps d’une femme, mais est homme au plus profond de son être. Comment faire accepter cela à ces proches, sa famille, ses amis ? Comment vivre dans ce corps qui vous dégoûte ? Comment lutter contre les préjugés, la méconnaissance ? Lila devient Nathan et entame un dur combat qui le mènera à vivre des moments douloureux, mais au final, à une libération... « Appelez-moi Nathan » est un titre à part, à classer parmi les œuvres documentaires. Le récit, mené par Catherine Castro, grand reporter pour « Marie-Claire », est clair, précis et vulgarisateur. Oui le sujet, assez rare en littérature, peut être difficile à appréhender, mais ici nos esprits s’éveillent à ce mal-être et le récit nous permet de comprendre une histoire qui peut, n’ayons pas peur des mots, nous dépasser. Si cette bande dessinée est aussi précise dans son propos, c’est que l’auteur a construit sa trame narrative à partir du témoignage du héros, bien réel, de cette histoire. Tous est vrai ici et on le ressent : les émotions, les insultes, la perte de repères, pour Nathan comme pour ses proches. Nous sommes totalement immergés dans ce combat pour l’acceptation. Les illustrations de Quentin Zuttion servent à merveille ce reportage par un trait fin et délicat accessible à tous et par une mise en couleur façon aquarelle. Ce titre est une œuvre salutaire pour ouvrir les esprits et parler librement, sans tabou, de transsexualité. A recommander. - Michaël
Tous les personnages de ce roman, adolescents et adultes, se trouvent face à des cas de conscience. Chacun retranché dans ses "loyautés", essaie d'entrevoir les limites de ses implications, d'avoir un comportement loyal. Un clin d'oeil critique sur le rôle de l'Education National..
Bon roman, percutant, et qui se lit très facilement grâce à sa forme simple : chaque chapitre prend la voix de chacun des protagonistes C.
Un nouvel album du duo Leroy/Maudet est toujours un bonheur. « Nous, quand on sera grands » ne déroge pas à la règle. Il est drôle, inventif et magnifiquement illustré. Á sa lecture, nous ne savons pas où nous allons, jusqu'à cette formidable chute. Alors, une fois terminé, on se dit, mais oui, mais bien sûr et pourquoi pas ? Le début de tout... Bref j'adore ! - Michaël
Russ Hidebrandt, pasteur à Chicago, est en pleine crise de la quarantaine . Déçu par son travail, sa femme et sa famille, une seule chose le préoccupe désormais : son nombril et sa libido. Il emploie le plus clair de son temps à échafauder des stratégies pour séduire Frances, une ravissante paroissienne, tout en sauvant la face.
Cependant personne n’est dupe ni sa progéniture, ni son épouse, loin en réalité de la femme docile qu’elle semble incarner. Nous sommes en 1971, l’Amérique oscille entre conservatisme et mouvement hippie, guerre et paix, sexe, drogues et Rock’n’roll. Rien ne va plus dans la famille Hidebrandt et le jeu de massacre peut commencer !
Jonathan Franzen dresse ici une très belle galerie de portraits en proie aux errements de leur foi où à la recherche d’un idéal qui leur échappe. Une critique sociale, sarcastique à souhait, qui dépeint des personnages sensibles, lâches, attachants, psychotiques, tour à tour généreux et égoïstes, loin des stéréotypes d’une quelconque bien-pensance moralisatrice. La vraie vie quoi !
Un style sans concession ni fioritures, réaliste et fluide, au service d'un récit prenant. Sachant qu'il s'agit du premier volume d’une trilogie, on a hâte de connaître la suite !
Conseils lecture
Venez, venez ! approchez-vous Messieurs, Dames ! Venez découvrir ces trois petits livres monstrueux et cruels ! Vous verrez l’inimaginable et l’impensable, des créatures sorties de vos pires cauchemars !
Plongez-vous dans la lecture de deux romans noirs aux portes du fantastique, précurseurs du genre : « Les éperons » de Tod ROBBINS et « Le plus dangereux des hommes » de Richard CONNELL, et dans celle d’une histoire vraie, que l’on préfèrerait fausse tellement elle est féroce : « Elephant man » de Frederick TREVES.
Pourquoi, m’opposerez-vous, se faire du mal quand on pourrait se faire du bien ? Un bon roman feel-good ne ferait-il pas mieux l’affaire ? Pourquoi donc ?! Sûrement pour le suspense, pour les frissons et pour ce voyeurisme malsain qui fait que l’on aime bien regarder le différent, le moche, l’estropié, ne serait-ce que pour se rassurer sur notre normalité ?
L’intérêt de ces trois récits ne s’arrête cependant pas là, car leurs qualités sont multiples. D’abord ils sont redoutablement efficaces par leur simplicité et ils incarnent parfaitement le paradigme de Mies van der Rohe : « Less is more ». Ensuite ils constituent trois classiques du genre qui ont donné lieu à de remarquables adaptations cinématographiques « Freaks » de Tod Browning (1932), « Le plus dangereux des hommes » de Irving Pichel (1932) et « Elephant man » de David Lynch (1980). Personnellement j’y ai également retrouvé tout le talent déployé par Hitchcock dans sa série « Alfred Hitchcock présente » et aussi l’ambiance de la série culte des années soixante : « Twilight zone » (la quatrième dimension). Par ailleurs en nous plongeant dans l’univers d’êtres et de mondes étranges, ces trois histoires nous posent une question fondamentale : qu’est-ce que c’est qu’être humain ? Qui est le plus barbare, le plus cruel : celui qui ressemble à un animal, comme Elephant man ou celui qui ne se fie qu’à son apparence pour le juger et lui reconnaître ou non le droit d’appartenir à l’humanité. Qu’est-ce qui détermine un homme ? Sa couleur, sa taille, son handicap ou sa façon de se comporter avec les autres, son empathie ?
Enfin ces trois livres sont de très beaux petits objets de quinze centimètres par dix, ils sont très facilement transportables et peuvent être lus aisément et rapidement puisqu’ils comptent tous soixante-dix pages. Chacun d’entre eux comportent une préface ou postface particulièrement enrichissante qui retrace l’histoire de ces œuvres emblématiques et de leurs auteurs. Ils appartiennent à « La petite collection des Éditions du Sonneur » qui vous propose des textes inédits et des textes oubliés ou méconnus, dignes de vivre ou de revivre, d’être découverts ou retrouvés. Une belle invitation à laquelle je vous enjoins à répondre, vous ne serez pas déçus !
Si l’atmosphère de ces ouvrages vous séduit vous pourrez emprunter au rayon Bande-dessinée comics de votre médiathèque « Moi, ce que j’aime, c’est les monstres » d’Emil Ferris qui constitue un bestiaire de monstres prodigieusement illustré.
Depuis la mort de son père, Pierre est le « Veilleur des brumes », le seul capable d’entretenir le barrage protégeant la ville d’un mortel brouillard. Sa responsabilité et son savoir pourraient en faire un citoyen respecté, mais il n’en est rien. Le temps a passé depuis la grande catastrophe et les mémoires se sont peu à peu effacées, aujourd’hui il n’est surtout considéré que comme un enfant timide, le fils d’un fou. Pourtant, la brume est bien réelle, toujours là et lorsqu’elle réussit une percée dans le barrage, Pierre est le seul préparé à la stopper... Adaptation d’un court métrage aux multiples récompenses « Le veilleur des brumes » est un récit fantastique échevelé aux nombreux rebondissements. Proposé comme un titre jeunesse, son intrigue et ses différents niveaux de lectures, en font en réalité un album tout public. Chacun·e trouvera en lui une résonance familière, propre à sa sensibilité. Famille, amitié, mais aussi courage et responsabilité sont quelques-uns des thèmes abordés au détour de cette palpitante aventure. Au fil de l’histoire, le mystère s’épaissit et l’intensité dramatique va crescendo. On vibre à chaque page, envahi d’émotions, tantôt gaies, tantôt tristes. Le repos émotionnel ne nous sera accordé qu’au clap de fin et encore puisque les effluves de ce moment passé resteront en vous quelques temps après. Les illustrations, peintures numériques, sont merveilleuses. Elles sont indissociables du texte et représentent un élément narratif d’une rare puissance combiné à une mise en scène cinématographique. Plongez sans hésiter dans cette saga étrange, unique, un classique en devenir. - Michaël
Dans « Femme rebelle », Peter Bagge retrace le parcours de Margaret Sanger, fondatrice du planning familial et militante radicale et controversée de la condition féminine. Le titre de cette bande dessinée biographique se réfère au journal fondé par cette infirmière en 1914, intitulé « The Women Rebel » et sous-titré « Ni dieux, ni maîtres ». Dans ces pages, Margaret Sanger s’adressait directement aux femmes en leur fournissant des informations sur le contrôle des naissances : culotté dans l’Amérique conservatrice du début du 20e siècle... au point pour l’autrice de devoir s’exiler quelques temps sous pseudonyme au Royaume-Uni. De retour aux USA, Margaret se servira de son influence médiatique, de ses déboires et malheurs personnels pour servir son combat - le contrôle du corps des femmes par elles-mêmes. Combat qu’elle parviendra à porter hors des frontières américaines, influençant par exemple la réflexion sur la création du planning familial en France... dans les années 1950. Il fallait bien le style et la verve satyriques de Peter Bagge pour retracer un tel parcours sans faire l’impasse sur les zones d’ombre de cette féministe. Il évite l’hagiographie en enrichissant son travail graphique d’un imposant propos complémentaire. Il y explicite ses choix (de son sujet jusqu’à la couverture de la BD), précise certains points et donne en dernier lieu la parole à la biographe française de Margaret Sanger, Angeline Durand-Vallot, qui situe historiquement l’apport du combat de Sanger et rappelle à quel point celui-ci demeure d’actualité... - Aurélie
Intempérie est une adaptation du roman éponyme de Jesus Carrasco. Cette œuvre espagnole d’une rare intensité dramatique, traite d’une enfance perdue. Javi Rey, l’adaptateur, a réussi à nous rendre tous les ingrédients du récit original. Le suspense et le stress qui lui sont liés, sont omniprésents. Le rythme est soutenu et quelquefois entrecoupé de bénéfiques moments de paix. L’illustration est à la hauteur du drame. Avec un trait sec et précis, les personnages semblent si réels, marqués, déformés par les malheurs de leur existence... De ce fait nous devenons le témoin impuissant d’une fuite que nous soupçonnons sans issue. L’utilisation des couleurs est également intéressante, les nuances de bleu, de jaune et de rouge renforcent les tensions du récit. Intempérie est un récit âpre, dur, mais qui laisse tout de même la place à l’espoir. - Michaël
Dans un appartement bourgeois Parisien, au cœur de la chaleur d’aout, deux couples se retrouvent autour d’un dîner. L’invitation vient d’Etienne, un avocat érudit, sûr de lui, séducteur et prêt à tout pour obtenir ce qu’il désire.
Claudia, sa femme, timide maladive, a passé la journée aux fourneaux. Autant pour servir un repas parfait à ses hôtes, que pour cacher son mal-être. Elle est terrorisée à l’idée de participer à cette soirée. « Elle se demande si elle parviendra un jour à résoudre cette contradiction : elle voudrait se rendre invisible et pourtant, elle leur en veut terriblement à tous de la rendre invisible ».
Les invité·es, des ami·es d’Etienne, ne semblent pas très enthousiastes non plus. Iels arrivent d’ailleurs séparément. Johar est une femme de pouvoir, carriériste. Tunisienne d’origine modeste, elle a gravi tous les échelons de la réussite. Rémi, lui, est professeur d’économie en prépa. Mariés depuis plusieurs années, leur relation qui s’est ancrée entre routine et vie professionnelle s’effiloche.
Dans ce huis clos pesant, les personnages sont également prisonnier·es de leurs vies respectives. De l’apéritif au dessert, tout ne va pas être si parfait. La tension monte, chacun et chacune, rumine ses objectifs, ses secrets… Les rares échappées sur le balcon pour prendre l’air, fumer ou téléphoner, suffiront-elles à faire redescendre la température et l’atmosphère épicée ?
Cécile Tlili, nous brosse aussi le portrait de deux femmes en apparence totalement opposées, mais qui finalement se rejoignent dans la prise en main de leur destin.
Un premier roman très intense. Sororité, sexisme, maternité, vie de couple, travail, trahisons, mensonges, secrets et remises en question, sont les ingrédients subtilement dosés de « Simple dîner ». Un régal.
« Un simple Diner » a reçu le prix littéraire Gisèle Halimi 2023.
Lapin et chien sont amis. Lapin vit dans un champ de blé bordé par une route qu’il n’a jamais empruntée, même si chaque nuit il en rêve. Chien était un aventurier, avec sa moto il avait passé l’essentiel de sa vie à parcourir les routes du pays. Maintenant il est trop vieux et trop malade pour partir. Alors il rend visite à Lapin et lui raconte ses voyages chaque jour.
Puis un jour Chien n’est plus là. Lapin reste seul avec la moto…
Kate Hoefler écrit une tendre histoire sur l’amitié, le temps qui passe, l’absence, la mort sans que jamais le mot ne soit nommé. C’est aussi une réflexion sur le désir de tenter l’inconnu et la peur qui nous en empêche. Sarah Jacoby propose de belles illustrations aux teintes pastel qui traduisent bien les émotions de Lapin. Les doubles pages en aquarelles format panoramique évoquent parfaitement le voyage et le sentiment de liberté. Chien disait : « le monde est beau si tu as le courage d’aller voir. Parfois tu peux te sentir dans de nouveaux endroits comme avec de vieux amis ».
Un album touchant et émouvant
Il y en a une qui n’a visiblement pas envie de dormir. Alors, lorsque son papa s’apprête à éteindre la lumière, une question jaillit : et pourquoi ci… ? Et pourquoi ça… ? Les réponses, le papa ne les a pas toutes, mais par contre, niveau imagination, il est plutôt très fort… Voici un merveilleux album proposé par les éditions « Little Urban » qui sont coutumiers du fait. Ils nous font découvrir l’œuvre deux aut.eur.rices de talents : Marc Barnett et Isabelle Arsenault. « Parce que » est de ces albums qui marque, qui reste dans vos esprits, non pas parce que la thématique est originale, mais parce qu’il a ce petit quelque chose de plus, de différent. Il se lit et s’appréhende différemment selon les sensibilités, pour certains l’aspect humoristique ressortira, pour d’autres la tendresse véhiculée ou encore par moment le léger parfum de mélancolie. Le texte est court, mais nul besoin de nombreux mots lorsque ceux que vous utilisez sont les bons. D’ailleurs, ils s’effacent rapidement pour laisser libre cours à l’imagination du papa et de sa petite fille. C’est alors qu’Isabelle Arsenault, illustratrice, prend le relais et nous entraine dans des univers incroyables. Ici, c’est moi qui manque de mots pour décrire les illustrations, tant elles sont magnifiques. Sur papier brun, elle couche au crayonné personnages et décors qu’elle volumise avec des jeux d’ombres et de lumières, aux couleurs aquarellées. Pleine page ou double page, ces incroyables dessins vont vous fasciner. « Parce que » est un incontournable qui plaira à tous et auquel chacun pourra s’identifier. - Michaël
Suite à un cancer du sein, Elizabeth subit une mastectomie. Dès lors sa perception d’elle-même, de sa féminité, en est désastreusement touchée. Pire, le regard des autres est néfaste et n’aide en rien à sa reconstruction. Plus rien ne sera pareil, sa vie d’avant s’écroule. De déceptions en désenchantements, ses déboires la conduisent à une nouvelle vie au milieu de marginaux au grand cœur. Voici un titre à recommander de toute urgence, puisqu’il aborde de façon intelligente un sujet ô combien difficile, le cancer et plus précisément, celui du sein. Sans être larmoyant, au contraire, il évoque la maladie sans détour et se concentre sur l’acceptation du corps mutilé, du regard des autres et surtout de soi. Il évoque le courage de ces femmes blessées dans leur féminité, qu’elles doivent réinventer. Ce que fait Elizabeth à sa manière éperdue et joyeuse, révélée par cette épreuve et plus vivante que jamais. Ce récit est mis en image de façon originale dans un pur style cinématographique de type "slapstick", à la façon des films muets des débuts du cinéma avec de courts textes entre les différentes scènes sans parole. Bref, un récit qui étonne et détonne récompensé par le prix Fnac de la BD. - Michaël
Jean-Loup est un jeune garçon un peu atypique et solitaire. Il est plein de tics et de tocs, fait des fiches sur tout mais surtout, il a beaucoup d’imagination et se découvre un talent unique de conteur. Jean-Loup a aussi un secret qu’il garde enfoui en lui, tellement profondément qu’il en a presque oublié son existence... et pourtant. « Incroyable ! » est une oeuvre douce et poétique dont l’humour belge donne un côté absurde à une histoire bien loin de l’être. La mise en couleurs donne un style très rétro à cette bande dessinée, comme une vieille photo de famille au bords crénelés que l’on regarde avec nostalgie. On tourne les pages de cet album avec entrain, grâce à un personnage principal attachant, des personnages secondaires hauts en couleurs et un découpage de cases rythmé. On accompagne Jean-Loup dans ses pérégrinations et l’on ne souhaite qu’une chose à la fin : le prendre dans ses bras pour lui faire un câlin. Et lorsque vous aurez fait connaissance avec Jean-Loup, cela ne vous paraîtra pas si incroyable, finalement. - Aurélie
Le petit Arthur joue au bord du torrent quand de gros nuages noirs envahissent le ciel. Plic-ploc fait la pluie dans le bocal de l’enfant ! la pluie tombe de plus en plus fort et forme partout de petits ruisseaux. Arthur court sous l’averse en riant et vide son bocal dans le torrent. « L’eau de mon bocal se trouve quelque part dans ce tumulte », se dit Arthur. Il décide alors de la suivre, au gré du long voyage de l’eau qui va venir gonfler le lit de la rivière, traverser champs et campagnes, les villes où vivent les hommes et les femmes qui ont tant besoin d’elle et se jeter dans l’océan.
« Le rythme de la pluie » nous saisit tout d’abord par ses illustrations sublimes. Le travail de la couleur, tout d’abord, est incroyable : l’illustrateur arrive à rendre avec beaucoup de justesse les teintes subtiles que prend l’eau en fonction de son environnement. Il joue avec la transparence au fil des pages, utilise de nombreuses techniques (gouache, aquarelle) pour peindre au fil des pages un décor magnifique.
Ce livre aborde avec beaucoup de poésie le cycle de l’eau. Une goutte de pluie se forme, tombe dans la rivière, celle-ci parcours les paysages, et se jette dans l’océan. Là, sous l’effet de la chaleur du soleil, elle va s’évaporer puis devenir nuage, et enfin redevenir pluie. La boucle est bouclée. A travers son voyage on découvre que tout le monde a besoin d’eau. L’humanité, bien sûr : celles et ceux qui n’en prennent pas beaucoup soin, celles et ceux qui en manquent ; les animaux aussi, celles et ceux qui la boivent ou qui y vivent, comme la grande baleine bleue ; mais finalement c’est tout l’écosystème de la planète qui vit au fil de l’eau.
Après plusieurs lectures du rythme de la pluie, je ne me lasse pas d’en observer les illustrations et de replonger dans cet univers coloré, aquatique et onirique. Cet album est un véritable régal pour les yeux.
En Croatie, il y a un petit village, Smiljevo, perché dans les montagnes. La vie s’y écoule paisiblement, dans la tranquillité de l’arrière-pays dalmate, loin du tumulte des stations balnéaires. Le temps semble s’y être figé, empreint de traditions locales et de douceur méditerranéenne. Les journées s’égrènent comme un chapelet entre prières, travaux des champs et parties de cartes. Une ode à la simplicité de la vie, une invitation à la méditation et à l’humilité.
Voilà à quoi vous échapperez si vous lisez le roman d’Ante Tomic, car à Smiljevo il n’y a pas que le village qui est perché. Entre un curé ancien alcoolique en pleine crise de vocation, un poète maudit qui écrit des haïkus sur les pelleteuses, un épicier fan de telenovelas qui se fait appeler Miguel et parle espagnol : la vie est loin d’être un long fleuve tranquille.
Dans ce roman tout sauf bien-pensant et soporifique, chacun en prend pour son grade, du général héros de guerre au ministre des Armées et dans la torpeur des journées d’été, c’est particulièrement rafraîchissant. Loin des clichés, Ante Tomic réussit la prouesse d’écrire une chronique villageoise rock’n roll et contre toute attente un roman d’amour. Un ouvrage kaléidoscope, une critique sociale humoristique et loufoque emmenée par l’écriture envolée de l’auteur.
Márcia est infirmière. Elle vit dans une favela de Rio et comme tous et toutes, elle a du mal à joindre les deux bouts. Pourtant sa vie n’est pas si mal, si ce n’est sa relation avec Jaqueline, sa fille, qui fricote dangereusement avec les dealers du coin…
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« Écoute, jolie Márcia » est un titre brésilien au fort goût d’authenticité, celle de la vie difficile dans les bidonvilles de « L'éternel pays d'avenir ». On y croise des personnages aux forts caractères, mais au courage essentiel pour survivre dans cette société pétrie de violence. Tout au long de cette lecture, on découvre des portraits de femmes et on comprend le rôle qu’elles jouent dans l’ombre, ô combien important pour maintenir un peu d’humanité dans la société brésilienne. Au-delà, cette oeuvre est aussi une histoire de famille, celle du combat d’une mère pour offrir à sa fille un meilleur avenir.
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Marcello Quintanilha possède un style graphique propre, aux volumes et aux couleurs généreuses, pleines de vie et de passion, sans nul doute, à l’image de son pays.
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« Écoute, jolie Márcia » est un récit remarquablement écrit, au suspense intenable qu’il sera difficile d’oublier.
Dans certains récits, il arrive que des enfants disparaissent dans des mondes étranges et fantastiques où ils endossent le rôle de sauveur. Ils y deviennent des légendes et l’histoire ce termine en happy-end. Très bien... mais entre temps que s’est-il passé pour les parents, les proches de ces enfants disparus ?
« Ceux qui restent » est une histoire singulière et étonnante qui prend le contre-pied des œuvres fantastiques classiques. Cette fois, nous ne voyageons pas avec les enfants mais restons à quai avec ces parents morts d’inquiétude et suspectés de choses atroces par la police et une certaine presse à scandale. Tous les ingrédients d’une BD réussie sont réunis dans cette fable oscillant entre polar et fantastique. L’histoire est habillement écrite, ménageant des moments forts en suspense et émotions. Vous serez également charmé par les illustrations d’Alex Xöul, fluides et agréables, qui adoucissent l’atmosphère inquiétante du récit. Un récit envoûtant et inattendus en provenance de la belle Espagne. -Michaël
‘Le Journaliste et l’Assassin’ de Janet Malcolm est une plongée fascinante et troublante dans les méandres de l’éthique journalistique. Malcolm explore avec brio la complexe relation entre auteur et sujet, nous confrontant à la délicate frontière entre vérité et trahison.
Un récit captivant qui interroge notre perception de la non-fiction et du rôle de l’écrivain.
À lire absolument pour tous les passionnés de journalisme et de récits authentiques !