Conseils lecture
Petit Wu est un bon et loyal soldat de la Chine communiste. Pour monter dans la hiérarchie, il faut faire preuve d’une loyauté et d’un dévouement exacerbés envers le parti. Petit Wu est vite remarqué par les gradés, et est missionné auprès du commandant afin de servir d’ordonnance (c’est-à-dire d’intendant) et de cuisinier. Cette ascension sociale rend sa femme et son village très fiers. Il est heureux de servir ainsi son peuple et son pays. Lorsque le colonel s’absente, il doit prendre soin de la maison de celui-ci et de Liu, la très jeune femme du colonel. Elle va demander à Petit Wu de « Servir le peuple » d’une bien étrange façon : assouvir ses désirs sexuels. Cette situation va perturber l’équilibre de Petit Wu et enfermer nos protagonistes dans un huis clos sexuel et amoureux. Adapté du roman éponyme de Yan Lianke, interdit à sa sortie en Chine en 2005, la relecture d’Alex W. Inker est un titre d’une rare force, rageuse et passionnée. Nous débutons dans un univers réglé comme du papier à musique, où la propagande maoïste distille ses idées et où le peuple ne vit que pour un seul et même devoir : « servir le peuple ». Puis la passion prend le dessus et fait voler en éclats un système, aussi dur soit-il. Une leçon de vie et de liberté. L’illustration est savamment pensée, travaillée à la manière de l’iconographie communiste chinoise : grandes cases horizontales telles les « lianhuanhua » (BD chinoises de propagande), gamme chromatique restreinte où le rouge prédomine, textures évoquant la gravure, visages aux expressions exagérées. Le rythme est également soutenu du fait de la construction même de l’ouvrage.
Cette œuvre, à réserver à un public adulte, se lit d’une traite, elle passionne tout comme elle questionne sur une société et ses codes différents. - Michaël
Béatrice est une jeune femme bien seule dont l’existence est rythmée par des habitudes et un quotidien très banal. D’un naturel discret, elle rêve secrètement de passion, d’aventure et du grand amour. Malheureusement la vie n’est pas vraiment une comédie romantique, c’est pourquoi, pour pimenter ce morne quotidien, elle décide de chaparder discrètement un sac rouge délaissé, abandonné en plein milieu de la gare. Dans ce sac, elle va découvrir un album photo qui va la plonger dans une vie de rêve, mais à quel prix... « Béatrice » est un album étrange, aux frontières du réel et de l’imaginaire. L’histoire, a priori classique et sans surprise, se transforme vite en conte étrange et captivant. Joris Mertens nous balade (littéralement) dans un univers aux multiples facettes, à la fois romantique, poétique, énigmatique et surnaturel. Il distille les ingrédients au fur et à mesure, accentuant ainsi la tension et le mystère tout au long du récit. Il parvient à nous tenir en haleine et surtout, à conclure son histoire par une fin qui nous laisse sans voix, comme cet album dont une des particularité est de ne comporter ni texte ni didascalie. Les illustrations sont juste magnifiques. L’auteur crée ses planches au crayon de papier rehaussé de couleurs vives, qui se révèlent techniques et pleines de détails. Un travail minutieux à saluer comme il se doit. Lire « Béatrice », c’est comme regarder un épisode de « La quatrième dimension » : « Apprêtez-vous à entrer dans une nouvelle dimension, qui ne se conçoit pas seulement en terme d’espace, mais où les portes entrebâillées du temps peuvent se refermer sur vous à tout jamais… ». Bon voyage !
Eustis le vagabond traîne ses guêtres et sa bibine parmi les tournesols, offrant contre un peu de réconfort ou d’argent son art divinatoire. Divinatoire, oui, car notre ami est un satyre et il a bien des histoires à raconter, à commencer par la sienne. Ayant couru la mauvaise nymphe, il a été banni de l’Olympe par Artémis, déesse prude et colérique. Après des siècles d’errance parmi les hommes, Eustis souhaite retrouver le cortège de Dionysos et ses plaisirs éternels. Accompagné de quelques compères, notre satyre entame son épopée vers la félicité. Graphiquement, cette bande dessinée est chiadée. Les références affluent et enrichissent le récit d’un niveau de lecture supplémentaire. La mise en couleur est particulièrement soignée. Les dessins sont superbes... et la narration n’est pas en reste, car particulièrement rythmée et bourrée d’humour. Cette odyssée est sublime. Fabrizio Dori, avec talent, déroule le fil d’une quête éternelle, celle du bonheur, et à travers son dieu vagabond réenchante notre monde. - Michaël
« Vole, vole, Carole ! » est l’histoire d’une martin-pêcheur qui, un beau jour, se décide, malgré les réticences de son frère et de sa sœur, à quitter le nid, à s’envoler.
Hélas pour elle, la chute sera vertigineuse…
Voici un très bel album qui aborde avec finesse les thèmes de l’apprentissage, de la prise d’indépendance et du courage.
À travers des dessins expressifs, réalisés à l’aquarelle et au crayonné, rehaussés de douces couleurs, l’auteur nous embarque, page après page, dans une plongée rocambolesque aux multiples rebondissements.
Pour accentuer l'effet de la chute, l'album doit être tourné de 90 degrés vers la droite avant de commencer le récit. De cette manière, on tourne les pages vers le haut, tandis que la jeune Carole tombe vers le bas.
Une très belle réussite et un excellent moment de lecture avec cette histoire touchante et pleine d’humour, qui ravira les enfants, mais aussi les parents, heureux de partager un pur moment de complicité.
"Léon Blum, une vie héroïque" de Philippe Collin est une œuvre exploratrice de la vie d'un homme qui a su, malgré les épreuves, rester fidèle à ses convictions : aider les plus démunis.
Leader courageux et déterminé, il a navigué dans les eaux tumultueuses de la politique avec intégrité et conviction.
Sa vie est un témoignage de résilience et de force de caractère, des qualités dont nous avons tant besoin aujourd'hui.
Le petit Arthur joue au bord du torrent quand de gros nuages noirs envahissent le ciel. Plic-ploc fait la pluie dans le bocal de l’enfant ! la pluie tombe de plus en plus fort et forme partout de petits ruisseaux. Arthur court sous l’averse en riant et vide son bocal dans le torrent. « L’eau de mon bocal se trouve quelque part dans ce tumulte », se dit Arthur. Il décide alors de la suivre, au gré du long voyage de l’eau qui va venir gonfler le lit de la rivière, traverser champs et campagnes, les villes où vivent les hommes et les femmes qui ont tant besoin d’elle et se jeter dans l’océan.
« Le rythme de la pluie » nous saisit tout d’abord par ses illustrations sublimes. Le travail de la couleur, tout d’abord, est incroyable : l’illustrateur arrive à rendre avec beaucoup de justesse les teintes subtiles que prend l’eau en fonction de son environnement. Il joue avec la transparence au fil des pages, utilise de nombreuses techniques (gouache, aquarelle) pour peindre au fil des pages un décor magnifique.
Ce livre aborde avec beaucoup de poésie le cycle de l’eau. Une goutte de pluie se forme, tombe dans la rivière, celle-ci parcours les paysages, et se jette dans l’océan. Là, sous l’effet de la chaleur du soleil, elle va s’évaporer puis devenir nuage, et enfin redevenir pluie. La boucle est bouclée. A travers son voyage on découvre que tout le monde a besoin d’eau. L’humanité, bien sûr : celles et ceux qui n’en prennent pas beaucoup soin, celles et ceux qui en manquent ; les animaux aussi, celles et ceux qui la boivent ou qui y vivent, comme la grande baleine bleue ; mais finalement c’est tout l’écosystème de la planète qui vit au fil de l’eau.
Après plusieurs lectures du rythme de la pluie, je ne me lasse pas d’en observer les illustrations et de replonger dans cet univers coloré, aquatique et onirique. Cet album est un véritable régal pour les yeux.
Aude, 24 ans, commence une nouvelle et jolie histoire avec Christophe. Un coup de foudre puis une relation à distance, qui semble une évidence. Sans qu’elle s’en rende compte, le cours de sa vie a pourtant pris un tournant : malgré ses précautions, elle est enceinte. Après la stupeur, le déni, la colère, vient le parcours médical. Et la décision qu’il faut prendre : Aude opte pour l’avortement. Ce récit se fait à deux voix : celle qui a vécu cette épreuve, l’auteure, et celui qui accompagne, qui soigne, en la personne de Martin Winckler. Ce dernier livre son expérience médicale à double titre : du praticien de ce geste si particulier qu’est l’IVG, et du soignant empathique à l’écoute des nombreuses et si diverses patientes qu’il a assistées dans ce parcours. Le témoignage de l’auteure est à lire aussi bien par les femmes, concernées ou non, que par les hommes car il éclaire les mécanismes complexes qui entrent en jeu dans ce deuil. Rien n’est épargné au lecteur : le tourbillon émotionnel de la grossesse puis de l’avortement, la solitude de certaines femmes face à cette situation, la douleur de la fausse couche ou encore la lente et difficile réappropriation de son corps. Des larmes et du sang. Beaucoup… et la nécessaire bienveillance du corps médical et soignant. Une histoire de femme(s) racontée de manière à la fois délicate et violente, d’une sincérité bouleversante. - Michaël
Agnès est danseuse. Ce soir, elle s’est produite sur scène pour la dernière représentation de sa compagnie atypique. Demain, c'est décidé, elle part pour un long périple, avec seul bagage un sac à dos, une grande écharpe qui lui servira de plaid et un livre.
Elle aurait pu prendre l’avion et être sur place en 2 heures, mais non. Elle préfère le train et le bus. Un voyage lent pour s’attarder sur les paysages, les lieux et faire remonter ses souvenirs.
Gaëlle Josse nous entraine dans deux histoires parallèles. Celle d’Agnès à travers les 1000 km de son parcours entre Paris et Zagreb, entrecoupée par les mots de Julien Lancelle, l’auteur du livre qui l’accompagne.
J’ai beaucoup aimé la succession des chapitres qui croise les deux récits. La part belle à la littérature, qui peut être un exutoire. J’ai été autant émue par l’amour de Julien pour sa fille Emma, que part celui d’Agnès pour son conjoint Guillaume.
Pour l’anecdote, « Quelques Eden » de Julien Lancelle, n’existe pas. Par contre, « Le musée des relations rompues, brisées de Zagreb est bien réel. On ne peut s’empêcher d’aller vérifier.
C’est tout l’art de savoir mêler fiction et réalité.
Tout en douceur, poésie et tendresse, ce roman est une quête vers l’apaisement après le deuil ou les épreuves de la vie.
A Attrape-Flèche petite ville du Mississippi, tout le monde est au mieux un peu original, au pire bien cintré. Hydro, jeune homme simplet, tient son surnom de la taille démesurée de sa tête, orphelin de mère, il a pour meilleur ami Louis, enfant au physique porcin délaissé par ses parents.
Sa mère alcoolique invétérée, trompe son mari avec le Kid petit homme à la beauté ravageuse, roi de la gâchette et lui-même abandonné à la naissance. Quant à Léonard, un autre personnage, il soigne sa solitude dans les bras des routiers de passage à la station service du village. Rien de bien reluisant dans le Bayou, on se croirait à Roubaix, jusqu’au jour où deux tueurs décident de braquer la supérette du coin. Cet élément déclencheur, va comme un jeu de domino, révéler en chacun une dose d’amour et de bienveillance à laquelle jamais on ne se serait attendu. Ceux que l’on prenait pour des fous, s’avèrent être des personnes capables d’une grande tolérance et l’on se prête à rêver d’un monde sans jugement où les différences de chacun·e cohabitent en bonne intelligence.
Ce très bel ouvrage, drôle et tendre, barré et original à souhait, nous aide merveilleusement à faire le deuil de nos préjugés. Une occasion de souligner le magnifique travail de la maison d’édition Monsieur Toussaint Louverture qui redonne vie en langue française à des romans américains inédits.
José est graphiste dans une agence de communication. Immature, gentil moqueur, il n'est jamais le dernier à faire une farce ou à lancer une bonne blague à Caro, la femme qui partage sa vie. Une nouvelle va pourtant le laisser pantois : José va devenir papa. Finie l'insouciance, finies les parties de foot interminables sur console, fini de faire le joli cœur... Fini ? Vous croyez ? Chassez le naturel, il revient au galop...
Une bande dessinée humoristique sur le thème de la paternité, mais pas seulement : sur le couple, les petits riens de la vie quotidienne, qui nous font rire et sourire. Le Saumurois Fortu nous offre ici les pages les plus anciennes de son blog dans une bande dessinée pêchue. A découvrir sans plus attendre ! - Michaël
Zidrou, auteur prolifique s'il en est, nous livre une fois de plus un récit teinté d’humanisme et d’émotions. Pas de mièvrerie ou de sentimentalisme exacerbé, non simplement le ton juste. Cette fois, il aborde le thème de l'adoption, vu, non pas des parents ou de l'enfant, mais des grands-parents. Car, peut-on accepter aussi facilement d’être grands-parents, grand-père, d’un enfant que l’on ne connait pas et qui n’est pas de votre sang ? Après un début poussif, le récit se met en place, et nous nous laissons embarquer par ce duo improbable. Illustré subtilement par Arno Monin (voir page 48), le découpage se met au service du récit et lui rend honneur. Une série à suivre... - Michaël
Elie Wiesel, prix Nobel de la paix en 1986, a dit : « Vous qui qualifiez les étrangers d’illégaux, vous devez comprendre qu’aucun être humain n’est « illégal ». C’est un contre sens. Les êtres humains peuvent être beaux, voire très beaux, ils peuvent être gros ou minces, ils peuvent avoir raison ou tort, mais « illégal », comment un être humain peut-il être « illégal » ? ». Ainsi commence le récit de Ebo, jeune Ghanéen de 12 ans, qui avec son frère décide de partir pour l’Europe, loin de la misère locale. Dans ce périple, la mort les menace à chaque étape. Du désert du Sahara à la violence des rue de Tripoli jusqu’à la traversée de la Méditerranée, ils devront surmonter leur peur, oublier leur innocence pour devenir, bien trop vite, des adultes sans rêves... Cette histoire est une fiction, mais chaque détail qui la compose est authentique car les auteurs ont collecté et assemblé les témoignages de rescapés pour nous livrer ce récit bouleversant. Véritable mise en lumière des conditions de vie inhumaines que subissent les migrants pendant leur exil, ce titre est à de nombreux égards une œuvre documentaire à mettre entre toutes les mains, même les plus réfractaires à la cause migratoire. - Michaël
Conseils lecture
Marius adore sa Tata, elle sait tout faire, surtout communiquer son énergie et sa bonne humeur. Pourtant quelque chose le tracasse... sa Tata a de la barbe sous les bras ! Plus que papa et que lui-même, qui n'en a même pas!... Mais quel est donc cet étrange mystère ? Vous l'aurez certainement compris, « Tata a de la barbe sous les bras » est avant tout un album rigolo, sans autre prétention que de nous faire rire. Il tient ce rôle à merveille, pile poil ce qu'il faut pour redonner le sourire aux petits lecteurs de mauvais poil. N'attendons pas un quelconque message ou une bien une morale, si ce n'est caresser dans le sens du poil les féministes et autres adeptes du naturel.
Florence Dollé, qui n'a pas un poil dans la main, nous offre des dessins aussi rafraichissants que le texte. « Tata a de la barbe » est un livre à lire près du poêle, ou ailleurs... Un récit au poil ! - Michaël
Lorsqu’elle se réveille, Hilda n’est plus chez elle, ni vraiment elle-même. Elle est dans une grotte, chez les monstrueux Trolls. Pourtant, elle n’est pas en danger. Son corps s’est transformé, elle est devenue l’une de ces créatures effrayantes et passe totalement inaperçue. Que s’est-il passé ? Quelle est la raison de sa présence ici ? Et si l’occasion lui était donnée d’apprendre à connaître un peu mieux ce peuple dont on ignore tout ? Sixième et à priori dernier volume de la série Hilda, et comme dans les précédents tomes, on se régale à la lecture de ses aventures. Comme toujours, Luke Pearson nous plonge dans un univers étrange, mais toujours teinté de bienveillance. Cela est la force de ses récits, nul ne sait comment il y arrive, mais ouvrir un Hilda est une expérience à part. Peut-être cela est-il dû à un délicat mélange d’humour, de fantaisie, de fantastique et peut-être de mélancolie, mais toujours est-il que ses histoires, et celle-là encore plus, sont captivantes. Nous assistons à la fin d’une série, ou peut-être, espérons-le, simplement d’un cycle. Un clap de fin qui met en exergue la différence, la tolérance et la force de l’amitié. Tant de messages à transmettre à nos enfants, tant de messages dont on peu s’inspirer pour nous ouvrir aux autres. Les illustrations sont toujours aussi belles, même si depuis 2011 le trait de l’artiste anglais à quelque peu évolué, je vous encourage vivement à reprendre le premier tome. La gamme de couleurs pastels employée ajoute une atmosphère de douceur, de calme, de bien-être. « Hilda » est sans conteste l’une des meilleurs séries jeunesse de ces dix dernières années, alors partagez-là. Pour info, Hilda existe également en série animée sur la plateforme « Netflix ». - Michaël
Tout droit venue des Etats-Unis, "Beverly" est une oeuvre atypique. On y découvre le quotidien des habitants d'une banlieue aisée américaine. Les personnages défilent, se croisent, se connaissent ou pas et nous faisons preuve de voyeurisme en nous insinuant dans leur vie de tous les jours. De là réside la force de l'album : nous faire devenir le témoin de différentes existences qui en forme une seule et même entité, la banlieue, cette banlieue.
Les histoires se succèdent, rebondissent, de personnage en personnage et deviennent comme dans la vraie vie, des racontars. Nick Drnaso livre donc un récit cru sur les relations humaines, qui nous unissent et parfois nous séparent. Il utilise un dessin épuré tout en rondeur, comme du Botero. Les couleurs, utilisées en aplat, sont froides, comme pour rappeler notre rôle et nous exhorter à laisser de côté nos émotions, ne pas juger, être de simples témoins. - Michaël
En ces temps moyenâgeux, « l’Âge d’Or » n’est devenu pour beaucoup qu’une légende. Ce mythe abolissait les classes et rendait tous les êtres libres et égaux, prônait le partage et l’entraide. Ce monde a peut-être existé ou pourrait exister, mais quelles en seraient les conséquences pour ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent ? Aussi, lorsque certains se mettent en quête d’une preuve de son existence, la tyrannie s’organise. Pendant ce temps, Tilda, l’héritière légitime, a perdu son royaume et pour ne pas perdre également la vie, doit fuir accompagnée de ses fidèles en direction du pays d’Ohman. Selon feu son père, un fabuleux trésor d’une puissance redoutable l’y attend. Quête de liberté pour quelques-uns, quête de pouvoir pour d’autres, les discordances naîtront et engendreront fatalement l’ultime affrontement. Le premier volume de ce diptyque est un véritable pavé de 228 pages. Il en fallait bien autant pour nous narrer la formidable épopée écrite par Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil. Les deux artistes nous proposent un récit fictif moyenâgeux à forte densité émotionnelle. Nous suivons, page après page, de nombreux personnages, chacun charismatique à sa façon et appartenant à des classes sociales différentes. Tous ont un combat, des valeurs à défendre, d’égalité et/ou de privilèges. Récit fictif ? Peut-être pas complètement ! Cette œuvre est une parabole de notre société actuelle et aborde très intelligemment les maux de notre quotidien : l’égoïsme et la paranoïa. Elle traite de l’égalité femme/homme et de l’égalité en générale. Elle prône le partage et l’entraide dans un monde où le système imposé nous rend de plus en plus individualistes. Réflexion politique, le récit questionne sur la démocratie et la place du citoyen. Voilà ce qui fait la force de ce roman graphique, association savamment équilibrée de fiction et de thématiques actuelles. Cyril Pedrosa, co-scénariste, signe également les illustrations, réussite picturale à signaler tant les planches proposées sont d’une incroyable beauté. La mise en couleur est puissante et est à elle seule un personnage à part entière du récit. Des tons vifs, tantôt chauds, tantôt froids, parfois psychédéliques, rehaussent le trait fin et délicat de l’artiste. L’utilisation de planches muettes, ô combien expressives, permet de reposer le récit et laisse libre court à la réflexion personnelle. Tous ces éléments, mesurés, équilibrés, font de ce récit une réussite totale et lui prédisent le plus bel avenir. - Michaël
Olive et Léandre ont pour point commun qu’ils se sentent terriblement seuls. Un jour, ils ont la même idée : voyager et aller voir ailleurs. Olive le poulpe part vers le nord et Léandre l’ours part vers le sud. Arrivés à mi-chemin, ils vont droit devant et ne se voient même pas. Alors Olive arrive chez Léandre et Léandre arrive chez Olive, mais ils sont toujours aussi seuls… Le texte d’Alex Cousseau ondule du nord au sud comme les animaux de l’océan. Le système d’échange épistolaire entre Léandre et Olive est savoureux et empreint de poésie ; nous ressentons avec force la mélancolie de nos deux héros qui passent leur chemin sans prendre le temps de regarder la beauté qui les entoure et connaître les autres habitants de l’océan. L’illustration de Janik Coat complète parfaitement le propos : son trait précis et ciselé, travaillé nettement à l’ordinateur, ses beaux camaïeux et ses oppositions de couleurs chaudes ou froides viennent ajouter du rythme et du sens à ces échanges sans fin entre nos deux protagonistes. De plus, c’est sans compter les détails foisonnants sur la vie des fonds marins qui permettent de lire et relire avec gourmandise cet album en ayant toujours quelque chose de nouveau à découvrir.
Agnès est danseuse. Ce soir, elle s’est produite sur scène pour la dernière représentation de sa compagnie atypique. Demain, c'est décidé, elle part pour un long périple, avec seul bagage un sac à dos, une grande écharpe qui lui servira de plaid et un livre.
Elle aurait pu prendre l’avion et être sur place en 2 heures, mais non. Elle préfère le train et le bus. Un voyage lent pour s’attarder sur les paysages, les lieux et faire remonter ses souvenirs.
Gaëlle Josse nous entraine dans deux histoires parallèles. Celle d’Agnès à travers les 1000 km de son parcours entre Paris et Zagreb, entrecoupée par les mots de Julien Lancelle, l’auteur du livre qui l’accompagne.
J’ai beaucoup aimé la succession des chapitres qui croise les deux récits. La part belle à la littérature, qui peut être un exutoire. J’ai été autant émue par l’amour de Julien pour sa fille Emma, que part celui d’Agnès pour son conjoint Guillaume.
Pour l’anecdote, « Quelques Eden » de Julien Lancelle, n’existe pas. Par contre, « Le musée des relations rompues, brisées de Zagreb est bien réel. On ne peut s’empêcher d’aller vérifier.
C’est tout l’art de savoir mêler fiction et réalité.
Tout en douceur, poésie et tendresse, ce roman est une quête vers l’apaisement après le deuil ou les épreuves de la vie.
Une jeune femme interroge son père et ses tantes sur leur terre natale, la Guadeloupe. Avec une bonne dose d'humour, Estelle-Sarah Bulle évoque à travers cette famille (la sienne ?) la vie en Guadeloupe, les paysages, les plages, mais aussi la destruction de ce passé et de ces coutumes, ces paysages défigurés au profit de promoteurs peu scrupuleux. On revisite ainsi la politique française vis-à-vis de la Guadeloupe de 1940 aux années 2000. C’est aussi l'histoire de l'exil, de ceux qui quittent l’île pour la métropole dans laquelle ils ne seront parfois plus tout à fait considérés comme des français à part entière. Les choix de vie et les points de vue des différents personnages qui se confortent ou s'opposent nous aident à comprendre les Antilles dans toutes leurs contradictions. Attirée par ce drôle de titre, j'avoue avoir été un peu déroutée en début de lecture par l'alternance des chapitres mêlant plusieurs lieux et époques ; mais je ne regrette pas d'avoir poursuivi ce roman « exotique ». Ce langage à l'apparence naïve est à la fois piquant et poétique. Une saga enrichissante et drôle teintée d'expressions créoles savoureuses ! Catherine
Evan mène une vie paisible avec son chien. Ils font tout à deux. Ils jouent, ils goûtent, ils partent à l’aventure, mais surtout, ils jardinent ensemble. Le jardin d’Evan et de son chien est magnifique, rempli de belles plantes et de juteux légumes. Mais un évènement tragique vient bouleverser le quotidien paisible d’Evan qui doit alors faire la terrible expérience du deuil. Ce bel album nous raconte avec simplicité l’histoire d’une belle amitié qui un jour prends douloureusement fin. Alors ce magnifique jardin devient une métaphore et se mets au diapason des émotions violentes et douloureuses qu’Evan ressent après la perte de son meilleur ami : douleur, colère, tristesse. Mais au bout du chemin, arrive la résilience et finalement la vie qui reprends son cours. Brian Lies nous offre un regard empli de mélancolie sur l’amitié si profonde que l’on peut entretenir avec nos boules de poils et sur le douloureux travail de deuil qu’il faut faire lorsque ceux-ci nous quittent. Les illustrations réalistes et délicates, à la texture onctueuse et remplies de couleurs sont un régal pour les yeux.
Lou a 50 ans. Antiraciste, bouddhiste et ancien professeur d’université, il est aujourd’hui chauffeur de taxi dans le Mississippi protestant et conservateur du Ku Klux Klan. Bien sûr Lou a tout du anti-héros, il est forcément aigri (on le serait pour moins que ça), légèrement tendu (faut dire qu’il s’enquille des journées de 12 à 15 heures dans une caisse pourrie en buvant du Redbull) et passe donc son temps à faire des doigts d’honneur à tout-va (ce qui vous me direz n’est pas très politiquement correcte pour un bouddhiste).
Donc Lou pourrait-être un abruti lambda vulgaire, détestable et violent car sa situation personnelle n’est vraiment pas reluisante et qu’il faut bien trouver un exutoire quelque part. Mais Lou est tout l’inverse car il est plein de paradoxes et que fondamentalement il est dépourvu de méchanceté mais pas de dérision. C’est ce qui rend ce personnage fort attachant et c’est pour ça que je vous invite à partager quelques courses avec lui.
Partez à la rencontre de passagers plus déglingués les uns que les autres, à la découverte de l’Amérique ultra-libérale et de ses laissés-pour-compte ! Laissez-vous conduire par Lee Durkee, à la manière d’un John Fante ou d’un William Faulkner contemporain, sur les routes désargentées du Sud des Etats-Unis !
Dans le même esprit je vous invite, également, à découvrir l’œuvre de John Fante et notamment « demande à la poussière » et à voir « Taxi Driver » de Martin Scorsese ou « Taxi Blues » de Pavel Lounguine. Enfin, Rayon BD vous pouvez aussi emprunter à la Médiathèque « Taxi ! » d’Aimée De Jongh et « Yellow Cab » de Chabouté (adapté du roman éponyme de Benoît Cohen).
Bon voyage au pays de Donald et Mickey sous méthamphétamine (âmes sensibles s’abstenir).
Airnadette, est un groupe réputé d’air musique et de playback qui déchaîne les foules durant les concerts, en France, en Europe et également aux Etats-Unis. A travers cette comédie musicale, Airnadette a décidé d’initier les enfants aux plaisirs de la scène. C’est ainsi qu’est né « Du rock dans ton salon », l’histoire romancée de la formation du groupe composé de Scotch Brit, Château Brutal, Moche Pitt, Gunther Love, Jean-Françoise et M’Rodz.
Tu adores la musique, chanter, tu rêves de monter un spectacle avec tes ami·es, alors n’hésite plus ce livre est pour toi. Pas besoin de talents particuliers, tout est parfaitement expliqué pour vivre une expérience délirante et pleine d’humour. Quelques accessoires suffiront pour entrer dans la peau d’un·e musicien·e de rock.
Les dialogues sont pointus et rigolos et retranscrits avec des indications de mises en scène dans des fiches de répétition. Le cd du show est intégralement joué et chanté par le groupe Airnadette en personne. Un code permet aussi de télécharger une version mp3 sur le site de l’éditeur, où l’on trouve pleins de bonus et tutos pour apprendre les chorégraphies.
Découpé en huit scènes, le livre-spectacle est rempli de blagues pour faire rire les petit·es, et de références rock qui raviront les plus grand·es.
« Les ateliers » est un livre remarquable. Il nous fait entrer dans l’intimité de 24 illustrateurs et illustratrices par la grande porte, celle de leur atelier. Croquis, photographies et interviews alimentent ce documentaire riche en anecdotes et en conseils. Il nous invite à comprendre le processus créatif, certes propre à chacun et à chacune, mais dont on peut s’inspirer, l’adapter pour ensuite se l’approprier.
« Les ateliers » est un très beau livre au contenu et à la maquette irréprochables et bien sûr disponible dans votre espace coolturel.
Une héroïne naïve, maladroite et très attachante, entourés de personnages nuancés et intriguants : tous évoluent dans un univers imaginaire si bien construit qu'on ne veut plus le quitter, porté par une intrigue rythmée et implacable. Tous ces ingrédients font de ce livre un excellent "page turner", à découvrir d'urgence.
Nolwenn
Dans « Femme rebelle », Peter Bagge retrace le parcours de Margaret Sanger, fondatrice du planning familial et militante radicale et controversée de la condition féminine. Le titre de cette bande dessinée biographique se réfère au journal fondé par cette infirmière en 1914, intitulé « The Women Rebel » et sous-titré « Ni dieux, ni maîtres ». Dans ces pages, Margaret Sanger s’adressait directement aux femmes en leur fournissant des informations sur le contrôle des naissances : culotté dans l’Amérique conservatrice du début du 20e siècle... au point pour l’autrice de devoir s’exiler quelques temps sous pseudonyme au Royaume-Uni. De retour aux USA, Margaret se servira de son influence médiatique, de ses déboires et malheurs personnels pour servir son combat - le contrôle du corps des femmes par elles-mêmes. Combat qu’elle parviendra à porter hors des frontières américaines, influençant par exemple la réflexion sur la création du planning familial en France... dans les années 1950. Il fallait bien le style et la verve satyriques de Peter Bagge pour retracer un tel parcours sans faire l’impasse sur les zones d’ombre de cette féministe. Il évite l’hagiographie en enrichissant son travail graphique d’un imposant propos complémentaire. Il y explicite ses choix (de son sujet jusqu’à la couverture de la BD), précise certains points et donne en dernier lieu la parole à la biographe française de Margaret Sanger, Angeline Durand-Vallot, qui situe historiquement l’apport du combat de Sanger et rappelle à quel point celui-ci demeure d’actualité... - Aurélie
Eté 1913, Valdas a 15 ans, dans une riche demeure du bord de mer, sa vie se dessine. Le monde des adultes, auquel il n’appartient pas tout à fait, lui paraît être un vaste théâtre où tout n’est que faux-semblants, alors la nuit il s’enfuit renifler la côte, ses embruns, un parfum de liberté. Il y vit ses premiers émois et se confronte au monde extérieur, plus pauvre, plus dépouillé loin du confort de sa classe bourgeoise vaguement contestataire.
De retour à St Pétersbourg la vie s’emballe, une promesse de fiançailles, l’armée, la guerre, la révolution, le choix du mauvais camp, puis l’exil, Paris, la misère, une autre guerre et la solitude. Un siècle de barbarie dont il est le témoin, et au milieu de cet océan de cruauté, un écrin de beauté, une île où affleure l’amour. Une parenthèse de vingt jours d’un bonheur intense qui lui permettront toute sa vie de résister.
Voilà ce que raconte merveilleusement ce livre, comment un amour même éphémère peut être éternel. Comment dans un monde sauvage et violent, il vous donne la force d’être juste et bon, de rester humain.
Encore, un magnifique roman, tout en pudeur, d’Andreï Makine, dont la langue, si belle, si douce à l’oreille est un enchantement.
Simon, un jeune Anglais de 14 ans un peu rondouillard, est la tête de turc des gamins du quartier. Cela, il le cache à ses parents, de toute façon trop occupés par leurs incessantes disputes. Cette vie pas vraiment folichonne va vite devenir un grand n’importe quoi le jour où il remporte plus de 16 millions de livres en pariant sur une course hippique…
Si le script de départ à l’air assez classique, il n’en est pourtant rien. Ce récit, drame familial burlesque, est un régal de lecture. Les situations s’enchaînent à un rythme effréné et les dialogues ciselés fusent avec malice pour notre plus grand bonheur. Cette comédie dramatique est huilée comme il le faut, d’une fluidité et d’une limpidité d’orfèvre.
Cependant, ce qui fait la vraie originalité de ce titre, ce n’est pas son histoire, mais bien le traitement graphique choisi par son auteur. Oubliez le style franco-belge, japonais ou états-uniens, les aquarelles et autres lavis aux nuances infinies… Bienvenue à l’ère du « stylisé » ! Le récit est illustré d’un point de vue inhabituel : les scènes d’intérieur et d’extérieur nous sont rendues en mode aérien, où transitent des personnages réduits à un cercle de couleur, reliés par un trait à des zones de dialogues. Déroutant… peut-être un peu au début, mais le procédé fonctionne tellement bien que l’on se l’approprie rapidement.
Textes et illustrations sont étroitement liés, la mise en scène novatrice de Martin Panchaud est un tour de force bluffant !
Marco est un renard qui se pose plein de questions sur le vaste monde. Pourquoi les arbres de parlent pas ? Où va le soleil lorsqu’il disparaît dans l’océan ? Mais lorsqu’il pose la question à ses camarades renard, ceux-ci lui répondent : « mais quel est le rapport avec la blanquette de poulet que nous sommes en train de cuisiner ? »
En quête de réponses, et de sens à sa vie, Marco le renard s’embarque pour un voyage presque sans retour à bord du bateau-cerf. Pour compagnons, il aura un équipage drôlement constitué : des cerfs et des biches qui ne savent pas naviguer, des pigeons qui ont soif d’aventure mais ne savent pas travailler… que va trouver Marco au bout de son aventure ?
A travers cet album, Dashka Slater nous embarque dans une histoire erratique, qui balance le lecteur au gré des questionnements de Marco le renard et des aventures qu’il vit à bord du bateau-cerf. Le récit fait la part belle à l’amitié qui se noue entre les protagonistes : comment faire pour trouver un ami ? se demande Marco. L’histoire lui réponds de plusieurs manières : autour d’un repas, d’une aventure en commun, ou tout simplement en lui posant des questions…
Les illustrations des frères Fan nous rappellent une époque pas tout à fait révolue de la littérature jeunesse : celle d’un dessin assez réaliste, friande d’anthropomorphisme, fourmillant de détails. Les couleurs assez sombres, dans les tons gris / marron, donnent une ambiance mélancolique à l’histoire.
Nos trois auteurs nous offrent un album surprenant, onirique et philosophique, laissant de nombreuses questions ouvertes ; A charge au lecteur, petit ou grand, d’y apporter les réponses qu’il veut.