Conseils lecture
Lapin le doudou accompagne son jeune ami partout, chacun veille et prend soin l'un de l'autre. Alors lorsqu'un impressionnant orage éclate, quoi de plus rassurant qu'un doux et tendre câlin ? « BaBam ! » est un album jeunesse aux proportions physiques volumineuses. Il fallait bien un tel format pour libérer toute la force, toute la puissance et l'énergie contenues dans les illustrations de Christine Davenier. Des peintures incroyables, où se mêlent des scènes d'orage impressionnante (on en entendrait presque le tonnerre), à des moments de pure tendresse, intimistes. Le contraste est saisissant et fonctionne parfaitement. L'enfant comme l'adulte découvriront ensemble un large panel d'émotions. Le texte de Fani Marceau est également au diapason de cette oeuvre, simple, poétique et surtout efficace. Il dépeint les inquiétudes que l'on peut éprouver, mais il apporte également le réconfort nécessaire au bien-être. Nos deux personnages, doudou et enfant, sont extrêmement attachants, chacun avec son caractère, chacun avec son innocence. « BaBam ! » est une très belle réussite qui résonne en nous comme un écho lointain de notre jeunesse. Il ravira les enfants et à n'en pas douter, attendrira les plus âgés. - Michaël
Daikichi, veuf de 75 ans, vit avec son chat Tama sur l’île japonaise d’Aoshima, appelée également « l’île aux chats ». Tous deux ont leurs habitudes, ils se connaissent bien après 10 ans de vie commune. Pourtant, parfois, ils arrivent à se surprendre l’un l’autre au gré de leurs pérégrinations et des aléas de la vie. « Le vieil homme et son chat » est un manga atypique, écrit et dessiné par un duo d’auteurs dont l’unique pseudonyme est « Nekomaki ». La fine équipe nous propose un récit d’une grande finesse et d’une grande sensiblerie. La relation entre Daikichi et Tama est un pur régal, nous passons aisément, selon les situations offertes par les protagonistes, de scènes de liesse à des instants plus intimes, plus mélancoliques. Cette relation homme/animal est touchante et juste, une complicité qui fait mouche à chaque page. L’illustration est également un des points forts de l’oeuvre puisqu’avec peu de traits, elle donne vie aux personnages en leur apportant juste ce qu’il faut de mimiques pour nous émouvoir. Les couleurs, posées façon aquarelle, ont des tons doux et apaisants. Au-delà de l’œuvre, nous apprenons l’existence de cette île japonaise qui, après la Seconde Guerre mondiale, s’est dépeuplée, laissant place aux chats, devenus pour la plupart sauvages, et à de rares retraités, tous vivant en parfaite symbiose et harmonie. Ce manga, destiné aussi bien aux enfants qu’aux adultes, est à conseiller même aux personnes réfractaires à la bande dessinée japonaise car d’une grande lisibilité. Alors CHATpeau Nekomaki. - Michaël
Mars 1956, un enfant vient au monde, un garçon. Avril 2026, il s’éteint, laissant derrière lui une vie bien remplie... Voilà comment on pourrait résumer très rapidement l’œuvre de Tom Haugomat, mais ce serait lui faire injustice au regard des multiples qualités de cet album. Sur près de 180 pages et environ 70 doubles pages, nous sommes les témoins privilégiés de la vie d’un homme sans nom. Chaque année de sa vie est représentée par un moment décisif qui va définir ses choix et influer sur son destin. Ces moments tantôt joyeux, tantôt dramatiques, s’enchaînent : s’égrène devant nos yeux le fil d’une existence en mode accéléré. Les points de vue narratifs alternent : nous sommes à la fois des témoins extérieurs de cette vie et le personnage principal, assistant aux mêmes scènes, à sa vie, « à travers » ses yeux. Une prouesse graphique et scénariste qui nous laisse admiratif, tant le travail est remarquable. Pas de texte, ou si peu : ce récit est contemplatif. L’idée est étonnante et à mettre en place, d’une complexité absolue. Pourtant l’artiste rend un travail d’une lisibilité et d’une fluidité absolument parfaites, tant et si bien qu’il peut être lu également par des enfants. Cette œuvre est une réflexion sur la vie en générale, elle est catalyseur de méditation et de bien-être. Les illustrations de Tom Haugomat sont très d’une grande beauté, colorées dans une palette restreinte aux tons primaires, bleu, rouge et jaune. « À travers » est un album unique, et en un mot, beau. - Michaël
La bande dessinée est un médium qui possède la faculté de pouvoir prendre des sentiers aussi variés qu’inimaginables. Souvent sources d’incroyables fictions, elle œuvre également dans le domaine de la connaissance et de la mémoire. Le titre « Wannsee » est une œuvre froide, glaciale : les plus férus en histoire auront compris de quoi il retourne, les autres vont découvrir un pan important et incontournable de notre histoire contemporaine. Cette œuvre relate les faits à l’origine de l’une des pages les plus honteuses de l’histoire des Hommes : la solution finale. « Wannsee » ou plutôt, la conférence de Wannsee, réunit le 20 janvier 1942 dans la villa Marlier à Berlin, quinze hauts responsables du Troisième Reich, délégués des SS, des ministères et du parti nazis, pour mettre au point l'organisation administrative, technique et économique de la « solution finale de la question juive », voulue par Hitler. À partir d’authentiques rapports, l’auteur partage cet ignoble moment où notre humanité a laissé place à la folie. Le sujet est certes difficile, voir écœurant, mais le raconter est nécéssaire afin d’instruire et peut-être donner suffisamment d’armes intellectuelles pour ne pas revivre une telle ignominie. Fabrice Le Hénanff s’attaque donc à un sujet difficile, mais il le traite avec clarté et justesse. Le thème si horrible nous ferait presque oublier la forme si réussie de cette bande dessinée : de magnifiques crayonnés rehaussés d’aquarelle aux couleurs froides et tristes, comme le fut cet hiver 1942. - Michaël
En ces temps moyenâgeux, « l’Âge d’Or » n’est devenu pour beaucoup qu’une légende. Ce mythe abolissait les classes et rendait tous les êtres libres et égaux, prônait le partage et l’entraide. Ce monde a peut-être existé ou pourrait exister, mais quelles en seraient les conséquences pour ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent ? Aussi, lorsque certains se mettent en quête d’une preuve de son existence, la tyrannie s’organise. Pendant ce temps, Tilda, l’héritière légitime, a perdu son royaume et pour ne pas perdre également la vie, doit fuir accompagnée de ses fidèles en direction du pays d’Ohman. Selon feu son père, un fabuleux trésor d’une puissance redoutable l’y attend. Quête de liberté pour quelques-uns, quête de pouvoir pour d’autres, les discordances naîtront et engendreront fatalement l’ultime affrontement. Le premier volume de ce diptyque est un véritable pavé de 228 pages. Il en fallait bien autant pour nous narrer la formidable épopée écrite par Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil. Les deux artistes nous proposent un récit fictif moyenâgeux à forte densité émotionnelle. Nous suivons, page après page, de nombreux personnages, chacun charismatique à sa façon et appartenant à des classes sociales différentes. Tous ont un combat, des valeurs à défendre, d’égalité et/ou de privilèges. Récit fictif ? Peut-être pas complètement ! Cette œuvre est une parabole de notre société actuelle et aborde très intelligemment les maux de notre quotidien : l’égoïsme et la paranoïa. Elle traite de l’égalité femme/homme et de l’égalité en générale. Elle prône le partage et l’entraide dans un monde où le système imposé nous rend de plus en plus individualistes. Réflexion politique, le récit questionne sur la démocratie et la place du citoyen. Voilà ce qui fait la force de ce roman graphique, association savamment équilibrée de fiction et de thématiques actuelles. Cyril Pedrosa, co-scénariste, signe également les illustrations, réussite picturale à signaler tant les planches proposées sont d’une incroyable beauté. La mise en couleur est puissante et est à elle seule un personnage à part entière du récit. Des tons vifs, tantôt chauds, tantôt froids, parfois psychédéliques, rehaussent le trait fin et délicat de l’artiste. L’utilisation de planches muettes, ô combien expressives, permet de reposer le récit et laisse libre court à la réflexion personnelle. Tous ces éléments, mesurés, équilibrés, font de ce récit une réussite totale et lui prédisent le plus bel avenir. - Michaël
Afin d’échapper à la guerre qui frappe le pays, Selma et sa famille, réfugiés palestiniens, fuient la Syrie à la recherche d’une terre en paix et d’une vie meilleure. Sur un bateau de fortune, ils traversent la Méditerranée en compagnie de soixante-dix autres migrants. Durant ce périple, Selma subit un grave traumatisme crânien et reste plusieurs jours à demi consciente. A son arrivée en Italie, elle est rapidement prise en charge par les médecins, mais il est malheureusement déjà trop tard. Sans laisser le temps au deuil, les proches de Selma doivent prendre une décision importante : autoriser, ou non, le prélèvement de ses organes. Inspiré d’une histoire vraie, ce récit italien est une véritable leçon de fraternité et de partage, bien loin du manichéisme ordinaire véhiculé par les médias. Un exemple certainement sur la voie à prendre et sur ce que chacun peut apporter à l’autre. Ugo Bertotti, par son travail remarquable, nous dépeint le quotidien de ces urgentistes de l’extrême et de leur course folle contre la montre. Puis dans la seconde partie de cette bande dessinée documentaire, il passe du côté des receveurs. Ceux-ci témoignent de leur vie passée à attendre une greffe, ne sachant si elle viendra. Ils s’ouvrent à nous en parlant d’espoir et/ou de désespoir, notamment lorsque le greffon ne prend pas. Nous sommes les témoins de leurs questionnements ; accepter l’organe d’un autre n’est pas chose facile. Chaque témoignage se termine par une gratitude éternelle envers ces donneurs qui resteront à jamais anonymes. Voici un très beau titre à découvrir et qui œuvre pour le bien commun. - Michaël
Sacha et Charlie sont frères, ils ne s’entendent pas très bien. Enfin, c’est surtout Sacha qui ne supporte pas la présence de son petit frère et lui fait bien savoir. Un accident va les séparer, tous deux vont se retrouver dans un monde étrange, peuplé de monstres, et où leur survie ne dépendra que d’une seule chose : le pardon...
A regarder cet ouvrage et principalement les illustrations, nous pourrions facilement penser qu’il s’agit d’un titre destiné à un jeune lectorat. Détrompez-vous : même si le duo d’auteurs a déjà œuvré avec brio pour la littérature jeunesse, ce titre est destiné à tous les publics. L’intrigue est extrêmement bien ficelée, jouant sur deux narrations : on suit l’errance de Sacha puis celle de Charlie, à tour de rôle. L’ambiance est inquiétante voir pesante, tant on sent que quelque chose de plus profond est sous-jacent. Chaque récit se lie à l’autre, chaque action influe sur la destinée de l’un pour au final, les réunir. Une fin qui nous fait sortir de l’imaginaire pour nous renvoyer la réalité en pleine face. Une fin qui aborde un thème difficile et nous propose, non pas une solution ou une réponse, mais une voie à suivre. Alors lorsque l’on regarde à nouveau les magnifiques aquarelles d’Anne Montel, on se dit que les auteurs ont sciemment proposé ce style juvénile pour lier le monde des adultes à celui des enfants afin de faire lecture commune et ainsi permettre le partage, le débat. Un récit maîtrisé de bout en bout qui ne vous laissera pas insensible par son rythme, ses illustrations et sa thématique. - Michaël
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Lila a toujours souffert d’un certain mal-être. Sa souffrance s’est accentuée à l’adolescence, elle, ou plutôt il, veut être lui-même, le vrai, pas celle dont le nom est inscrit à l’état civil. Lila souffre de dysphonie de genre, elle a le corps d’une femme, mais est homme au plus profond de son être. Comment faire accepter cela à ces proches, sa famille, ses amis ? Comment vivre dans ce corps qui vous dégoûte ? Comment lutter contre les préjugés, la méconnaissance ? Lila devient Nathan et entame un dur combat qui le mènera à vivre des moments douloureux, mais au final, à une libération... « Appelez-moi Nathan » est un titre à part, à classer parmi les œuvres documentaires. Le récit, mené par Catherine Castro, grand reporter pour « Marie-Claire », est clair, précis et vulgarisateur. Oui le sujet, assez rare en littérature, peut être difficile à appréhender, mais ici nos esprits s’éveillent à ce mal-être et le récit nous permet de comprendre une histoire qui peut, n’ayons pas peur des mots, nous dépasser. Si cette bande dessinée est aussi précise dans son propos, c’est que l’auteur a construit sa trame narrative à partir du témoignage du héros, bien réel, de cette histoire. Tous est vrai ici et on le ressent : les émotions, les insultes, la perte de repères, pour Nathan comme pour ses proches. Nous sommes totalement immergés dans ce combat pour l’acceptation. Les illustrations de Quentin Zuttion servent à merveille ce reportage par un trait fin et délicat accessible à tous et par une mise en couleur façon aquarelle. Ce titre est une œuvre salutaire pour ouvrir les esprits et parler librement, sans tabou, de transsexualité. A recommander. - Michaël
Ce sont des enfants, pour la plupart orphelins, mais tous sans le sou et dans la misère. Ils vont trouver en leur compagnon Colas, un espoir, un guide vers une vie meilleure. Ce nouvel horizon ne pourra cependant se faire sans sacrifices, car en l’année 1212, la foi est omniprésente et la seule « façon » d’atteindre le paradis est de partir en croisade défendre le tombeau du Christ. Ces enfants vont suivre un guide, mais peut-être pas celui qu’ils croyaient...
Inspiré de faits réels, ce fait divers dont très peu d’écrits subsistent, nous est conté par Chloé Cruchaudet et constitue un pan méconnu de l’histoire de France. Si la fin de cette croisade fait encore débat parmi les historiens, l’auteure s’en approprie une version et nous livre un récit épique à la dramaturgie parfaite. L’innocence et la naïveté des enfants sont un élément central de la trame et constituent le fil conducteur du récit. Un rejet du monde adulte, par qui tous les maux arrivent, est une des réflexions de l’œuvre. L’enfant serait-il supérieur à l’adulte du fait de son innocence ? Par delà cette question philosophique, la manipulation des masses du fait de l’ignorance et de l’inculture est également un sujet abordé qui fait écho encore aujourd’hui dans notre société. L’arc narratif est quant à lui savamment écrit, les personnages attachants nous font vivre différentes émotions : on s’attriste, on s’amuse et on s’inquiète. Le tout est parfaitement illustré par un trait fin et précis dont les volumes sont rehaussés d’une palette à l’ambiance « clair obscur » grâce à l’utilisation d’encres et de fusains. 172 magnifiques planches à découvrir dans un récit de haute tenue. - Michaël
Petit Wu est un bon et loyal soldat de la Chine communiste. Pour monter dans la hiérarchie, il faut faire preuve d’une loyauté et d’un dévouement exacerbés envers le parti. Petit Wu est vite remarqué par les gradés, et est missionné auprès du commandant afin de servir d’ordonnance (c’est-à-dire d’intendant) et de cuisinier. Cette ascension sociale rend sa femme et son village très fiers. Il est heureux de servir ainsi son peuple et son pays. Lorsque le colonel s’absente, il doit prendre soin de la maison de celui-ci et de Liu, la très jeune femme du colonel. Elle va demander à Petit Wu de « Servir le peuple » d’une bien étrange façon : assouvir ses désirs sexuels. Cette situation va perturber l’équilibre de Petit Wu et enfermer nos protagonistes dans un huis clos sexuel et amoureux. Adapté du roman éponyme de Yan Lianke, interdit à sa sortie en Chine en 2005, la relecture d’Alex W. Inker est un titre d’une rare force, rageuse et passionnée. Nous débutons dans un univers réglé comme du papier à musique, où la propagande maoïste distille ses idées et où le peuple ne vit que pour un seul et même devoir : « servir le peuple ». Puis la passion prend le dessus et fait voler en éclats un système, aussi dur soit-il. Une leçon de vie et de liberté. L’illustration est savamment pensée, travaillée à la manière de l’iconographie communiste chinoise : grandes cases horizontales telles les « lianhuanhua » (BD chinoises de propagande), gamme chromatique restreinte où le rouge prédomine, textures évoquant la gravure, visages aux expressions exagérées. Le rythme est également soutenu du fait de la construction même de l’ouvrage.
Cette œuvre, à réserver à un public adulte, se lit d’une traite, elle passionne tout comme elle questionne sur une société et ses codes différents. - Michaël