Émigration et immigration
Ciprian et sa famille sont des « Ursaris », des dresseurs d’ours. Ils gagnent misérablement leur vie en se produisant dans les villages roumains. Là-bas ils sont peu considérés, voire détestés et maltraités. Piégés par la mafia locale, ils se retrouvent clandestinement en France, à Paris, où il doivent « travailler » pour le compte de ces crapules. Loin de l’idée qu’ils se faisaient de notre pays, ils vont alors toucher le fond et devoir s’humilier pour survivre. Pourtant une lueur d’espoir va naître lorsque Ciprian découvre par hasard un jeu inconnu : les échecs... Adaptation du roman éponyme de Xavier-Laurent Petit, « Le fils de l’Ursari » trouve son inspiration dans notre réalité ; il condense deux faits réels, afin d’en extirper un récit tendre et brutal. L’auteur dénonce l’exploitation humaine et l’inaction de nos politiques face à un système mafieux. Tous cela engendre de la méfiance et bien évidemment la haine de l’autre. Le récit n’est pas triste pour autant car l’auteur nous parle de bonté, de valeurs et du coup d’espoir. Ce récit est un message d’ouverture d’esprit. Il s’adresse aux enfants, à partir de 9 ans, mais a très bien sa place dans les titres pour adultes, tant il est efficace et engendre la réflexion. A sa sortie, le roman a gagné le Prix Sorcières 2017 et le Prix des Lycéens allemands 2018. Nul doute qu’avec cette adaptation en bande dessinée, plus que réussie, le récit a encore de beau jour devant lui et va toucher un plus large public. - Michaël
Fraîchement arrivée de Russie, Véra a bien du mal à se faire des amies et à s’intégrer dans la communauté américaine. Pas assez cool, pas assez riche, trop différente... en un mot (deux en fait) : trop russe. L’église orthodoxe devient son refuge, moins par attrait pour la religion que pour le buffet servi en fin de cérémonie. Lorsqu’elle apprend que l’église organise un camp de vacances, Véra y voit l’occasion rêvée de se faire facilement des ami(e)s, russes comme elle. Sa maman l’envoie donc avec son petit frère passer deux semaines en colonie de vacances... De douces illustrations en bichromie, des touches d’humour, de l’amitié, des premières amours, un brin de méchanceté, mais aussi de la solidarité... Bref, un bien joli récit initiatique que l’on devine nourri de la propre expérience de l’autrice. Une bande dessinée à lire dès 8 ans, abrité sous la tente, pelotonné sous la couverture avec sa lampe torche, et surtout pendant les vacances ! - Michaël
Une procession s’engage dans la sombre forêt : rhinocéros, lièvre, lion ou ours. Ils sont tous différents et se dirigent vers cet ailleurs meilleur, ils ont un bagage dans la main, sur le dos. Ces animaux anthropomorphes, déracinés, accablés par la fatigue, fuyant leur pays, symbolisent les migrants : un mot bien vaste – et vague – pour parler de ces individus aux multiples trajectoires de vies qui en font partie. Un squelette, montant un ibis bleu, les talonne, les accompagne : il s’agit de la mort, omniprésente à chaque pas de ces si dangereux voyages. Le sujet n’est pas bien gai mais cet album arrive avec une force percutante à nous parler d’un sujet essentiel, et bien souvent oublié, relégué au second plan de cette actualité changeante. A travers son album sans texte, Issa Watanabe nous livre un discours métaphorique aux multiples niveaux de lecture, et c’est là, toute la force de son récit : il s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes, à travers des images qui parlent d’elles-mêmes. Une lecture accompagnée par un adulte permettra de répondre aux questions des enfants et d’engager un dialogue avec eux. Le fonds de ce décor est noir comme le désarroi et la douleur de chacun mais chaque personnage porte sur son dos un tissu coloré, comme s’il avait apporté avec lui un peu de ces racines, de son pays, qui donne un peu de baume au cœur. Les illustrations sont si riches de détails et de métaphores qu’il faut plusieurs lectures pour réussir à en capter tout le sens ; mais n’est-ce pas là, aussi, le sens de la littérature : donner à réfléchir pour mettre en évidence cette misère ce que l’on a sous les yeux depuis tant de temps ? Cet album fait partie, selon moi, des incontournables en littérature jeunesse. « Migrants, réfugiés, déplacés, bombardés, apeurés, violentés, affamés, exilés, rescapés, noyés, sans-papiers, apatrides, disparus… Silence. » - Nolwenn
C’est l’été dans la grande maison familiale située en bord de mer. Edda et ses trois sœurs regardent la télé, vont se baigner, s’amusent pendant leurs vacances sous l’œil omniprésent du patriarche. Un maillot trop échancré lui déplaît, il faudra en racheter un autre. Les sœurs usent de stratagèmes habiles pour se soustraire à cette autorité, sous l’œil complice de leur mère. La belle harmonie familiale se fendille sous nos yeux lors d’un dîner : Edda annonce avoir passé et réussi le concours d’entrée à la haute école de médecine... ce qui ne rentre pas dans le plan élaboré par le grand-père. La guerre des générations est déclarée et l’émancipation des filles en marche. Dans cette BD, Lucie Quéméner dessine avec brio le portrait sur quatre générations d’une famille issue de l’immigration chinoise, certainement avec authenticité puisqu’elle-même est franco-chinoise. Pour autant, il s’agit bel et bien d’une fiction autour des notions d’héritage et d’émancipation. La kyrielle de personnages crée un univers dont les lignes se rejoignent très habilement et donnent à voir de multiples possibilités autour d’une même problématique. L’autrice a aussi eu l’excellente idée de développer l’histoire de chaque génération, moins pour expliquer des comportements que pour nous raconter des parcours de vies dont les multiples facettes échappent au premier regard, à la première lecture. Dans sa première bande dessinée, Lucie Quéméner nous offre un beau récit plein de force et de sagesse, qui met du baume au cœur. Espérons qu’elle récidive bientôt... - Aurélie