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Conseils lecture

Jules vit seul dans son terrier. Il n’en est pas pour autant triste, c’est comme ça et il s’en accommode bien volontiers. Avoir une vie sociale, très peu pour lui, les autres sont si compliqués... Et en plus, avoir des amis pourrait le rendre moins attentif aux dangers qui l’entourent, il n’est qu’une fragile petite souris après tout. C’est bien ce que se dit le filou renard qui le surveille et aimerait bien en faire son repas. Par le plus malchanceux des hasards, le carnassier se retrouve coincé la tête dans le terrier de Jules : impossible de s’en retirer. S’engage alors entre eux une bien étrange relation... « Jules et le renard » est un album à part. Sa différence, il la cultive dans  la singularité de l’histoire dans laquelle il nous plonge et dans le bien-être qu’il nous procure. Une masterclass pour tout amoureux de récits et d’illustrations, tant ici les deux arts sont insécables. Joe Todd-Stanton écrit son récit au passé simple tels les contes de notre enfance, mais en adoptant un ton moderne aux dialogues savoureux, pour traiter en filigrane de notre société, de l’individualisme et de l’égoïsme qui y règnent. Ses illustrations transpirent la douceur grâce à son trait délicat et aux couleurs harmonieuses qu’il distille dans ses toiles. Il mélange les plans, les points de vues, tant tôt de loin, tant tôt de près, voir de très très près et emprunte également à la bande dessinée, dans ses cadrages et sa mise en page. Enfin, les personnages qu’il a créés sont d’un charisme rare : ils ne sont ni parfaits ni mauvais, comme dans la vraie vie en sorte, permettant de s’identifier à eux. Voici un très très bel album à découvrir, dont la magie nous émeut et nous réconforte. Bravo l’artiste.   - Michaël

Anya est une jeune adolescente comme les autres, avec des préoccupations propres à son âge et d’autres liées à ses origines russes. Rien de bien méchant mais sa vie va changer du tout au tout le jour où elle tombe accidentellement dans un puit abandonné. Celui-ci est hanté par Emily, une petite fille morte depuis plus de 90 ans. Les deux jeunes demoiselles vont alors développer une connivence pour le moins étrange... Nous revoici avec un récit de Vera Brosgol, qui nous avait enchantés avec son titre « Un été d’enfer ». Ce titre, antérieur mais jusque-là inédit en France, avait remporté en 2011 un prestigieux Eisner Award, grand prix de la bande dessinée américaine. Il le mérite amplement car une nouvelle fois action et émotions sont au rendez-vous dans ce récit complet pour la jeunesse. Au-delà du récit fantastique, Vera Brosgol, nous dévoile une partie de sa jeunesse, le choc des cultures et la difficulté d’intégration et d’acceptation de l’étranger. Elle aborde également le thème de l’adolescence, des préoccupations  liées à cette étape et de l’importance qui tient l’amitié. Bien sûr la partie « fantastique » est du même niveau, excellent, et inattendu. On pense tout d’abord à une histoire quelque peu classique, mais bien vite elle sort des sentiers battus. Un titre jeunesse que l’on va réserver au plus de 10 ans tant certaines scènes peuvent être flippantes pour un trop jeune lecteur. Encore une fois, l’éditeur « Rue de Sèvres » nous fait découvrir un très bon titre, cela devient récurrent, pour notre plus grand bonheur. Merci !  - Michaël

In Waves est un livre poignant, d’une sensibilité rare, mais surtout une des plus belles déclarations d’amour que j’ai lue. Cette bande dessinée, ou plutôt ce roman graphique, est une autobiographie de l’auteur qui nous raconte en toute sobriété son histoire d’amour avec Kristen, atteinte d’ostéosarcome, un cancer des os. Il nous livre avec pudeur leur histoire, de leur première rencontre maladroite à l’au revoir déchirant. Bribe par bribe, témoignage après témoignage, nous faisons la connaissance de la belle Kristen. L’auteur nous invite dans leur intimité et nous fait partager leur histoire et leur passion commune pour le surf. AJ Dungo réussit d’ailleurs un autre tour de force en intégrant, à intervalle plus ou moins régulier dans son intime récit, l’histoire et l’origine de cette pratique sportive. Le mélange, loin d’être déconcertant, forme un tout, l’un permettant à l’autre des temps de repos. A aucun moment nous ne sombrons dans le pathos, le récit est un témoignage, un hommage et un message forts : il faut vivre sa vie et ses rêves. Juste magnifique !  - Michaël

C’est l’histoire d’un écureuil, il a un arbre, son arbre. Cet arbre donne des pommes de pin, ses pommes de pin. Tout cela est à lui et à personne d’autre, mais comment protéger ses propriétés face à un ennemi invisible qui menace ?... « C’est mon arbre » est un album jeunesse à double lecture. Une histoire délicieusement absurde pour commencer, mais que l’on comprend dans un second temps, bien plus profonde et philosophique qu’il n’y paraissait. Ici, subtilement, sont abordés les thèmes de la possession, de la propriété mis en opposition au partage et à la liberté. L’ignorance prend une place également importante, car elle est vecteur de peur et de paranoïa. Cette histoire dépeint de façon rare, mais intelligente, notre société et ses abus. Ce livre n’est pas triste pour autant, Olivier Tallec livre une composition astucieuse, emplie d’humour et qui fera rire les enfants comme les adultes. Ses illustrations sont une merveille, pas de grands et beaux décors, mais le strict minimum, juste ce qu’il faut pour offrir à notre écureuil un espace d’expressivité, à la one man show, totalement désopilant.  - Michaël

Saul Karoo est un homme respecté dans son travail. Il est « script doctor » : on fait appel à lui pour améliorer le scénario d’un film. Un éventuel navet peut, sur ses conseils, se transformer en véritable chef-d’œuvre. Aussi brillant soit-il, il est un domaine où il n’excelle pas : les relations humaines. Son mariage est un échec, il ne parle pas à son fils et son penchant pour l’alcool et sa désinvolture en font un personnage difficilement fréquentable. Sa vie va basculer le jour où il découvre, en visionnant les rushs d’un film à sauver, une actrice qui sans le vouloir va lui rendre une force qu’il ne soupçonnait plus et donner un nouveau but à sa vie... Frédéric Bézian adapte avec talent le roman à succès « Karoo » de Steve Tesich. On y retrouve la même tonalité, les mêmes ressentis que dans le récit original, l’histoire d’une vie et du chemin à mener pour lui donner sens. En quelque sorte notre histoire à tous, mais chacun avec ses propres démons. Saul pense trouver le repos et réécrivant, manipulant l’histoire de ses proches comme si son métier lui donnait le pouvoir de jouer avec les destins de chacun. Cependant, la vie n’est pas un scénario que l’on peut modifier à souhait ; elle est surprenante, incontrôlable et il va l’apprendre à ses dépens. Si le récit est captivant, le style graphique de Bézian l’est tout autant : trait fin, haché, voire nerveux à l’image du personnage. Quelques aplats de couleurs viennent rompre par moment la monotonie du noir et blanc dominant et créent la sensation de rythme. La partie graphique est en parfaite adéquation avec le texte, l’un et l’autre se sublimant. « Karoo » est un récit subtil sur l’âme humaine et une œuvre romanesque à découvrir.  - Michaël

Le rêve d’Hino est d’être admis dans l’un des nombreux clubs de sport de son lycée. N’importe lequel, du moment qu’il est considéré par les autres et surtout les filles, comme un sportif. Car oui, c’est bien connu, les filles aiment et sortent avec les sportifs (!). C’est bien ce qu’Hino désire le plus au monde : avoir une petite amie. Le seul problème, c’est que notre énergumène n’est pas très sportif, un peu maladroit et quelque peu glandeur : il est très rapidement viré de toutes les activités auquel il participe. Sa rencontre accidentelle avec la belle Ayako va le contraindre à s’essayer à une discipline encore inconnue pour lui : le rugby... "Full Drum" est un manga de type shônen, plus particulièrement destiné aux jeunes garçons, selon la nomenclature japonaise, mais n’ayez crainte il peut être lu par tous les publics ! De construction plutôt classique, le récit est dynamique et humoristique. Nous suivons Hino dans sa quête d’amour maladroite, mais ô combien jouissive. Notre personnage est animé d’un bel idéal, car ici rien de graveleux, simplement de nobles sentiments. Véritable comédie sentimentale, le récit laisse tout de même une place importante à l’action et au sport, en particulier au rugby qui devient le sujet principal de l’œuvre. Petit à petit, nous découvrons ce sport et nous familiarisons, sans que cela soit trop technique, au vocabulaire de la discipline. "Full Drum" est sans prétention, il parvient à nous faire passer un agréable moment de lecture grâce à son personnage attachant. On y y trouve un peu de tous les ingrédients pour séduire un large public et cerise sur le gâteau, ce manga sur le sport est, faut-il le signaler, complet en 5 volumes et traite d’un sport peu exploité en bande dessinée. Pour les amoureux de l’ovalie et bien plus encore.  - Michaël

Pénélope est médecin pour une organisation humanitaire, elle est régulièrement en mission pendant plusieurs mois dans des zones de combats ou règne la misère. Alors lorsqu’elle rentre chez elle, il n’est pas toujours facile de se replonger dans un quotidien banal, plutôt normal dirons-nous, une vie de famille ou les problèmes ne semblent être que futilités... À la lecture de cet ouvrage, on pense de suite à une bande dessinée de reportage, un récit témoignage livré par un médecin humanitaire : il n’en est rien, ce titre est une fiction, mais qui, sans nul doute, touche au plus près de la réalité tant il sonne et résonne juste. Nous suivons les préoccupations de Pénélope, qui à son retour pense à ceux qu’elle a laissés, à ceux qu’elle a perdus, des fantômes qui l’obsèdent et l’empêchent de vivre sa vie d’ici. Sa vie justement, quelle est-elle ? Cette question l’entête, elle qui navigue entre deux mondes. Bien sûr, sa famille, ses proches ont les mêmes interrogations : un mari qui ne voit jamais sa femme, une enfant qui grandit sans la présence physique de sa mère. Sont-ils tous des étrangers ? Il y a dans cette œuvre une remarquable leçon de choses, psychanalyse de l’être, du moi. Admirablement écrit, subtil et sensible, « Les deux vies de Pénélope » est une œuvre différente qui, à défaut de donner des réponses, met en lumière des femmes, des hommes, hors du commun.  - Michaël

Tom Thomson : ce nom ne vous dit peut-être rien, c’est pourtant le plus célèbre peintre canadien. Une courte carrière, un style singulier, une influence décisive sur les générations postérieures, une mort mystérieuse… De très bons ingrédients pour en faire une légende et, pourquoi pas, une bande dessinée. Tom Thomson, jeune publicitaire, suit un chemin bien tracé le conduisant vers un emploi gratifiant et une vie maritale stable. C’est sans compter un don particulier, celui de donner vie à la nature à travers ses esquisses, et le courage de s’y adonner pleinement. Donc de passer à une vie 'simple' et de s'y consacrer, lire Thoreau, regarder les paysages qui l’entourent, en saisir l’esprit et peindre. Pour cela, il canote souvent avec un ami jusqu’à ce que celui-ci soit mobilisé en 1915. Tom, réformé, se déplace désormais seul pour peindre. Mais un jour, sa barque est retrouvée vide ; son corps émerge 7 jours plus tard. L’enterrement est rapide. Suicide, accident, homicide ?… Les versions divergent et le doute persiste. Près de quarante ans plus tard, deux hommes enquêtent. Que s’est-il réellement passé ? Seul Tom Thomson pourrait nous le dire. Sandrine Revel nous livre ici sa version de l’histoire, version passionnante qu’elle mène habilement. Elle contourne le genre rebattu de la biographie de peintre en l’entrecoupant d’une enquête policière… Il faut dire que la vie – et surtout la mort – de Tom Thomson s’y prêtent parfaitement. Quant à la référence picturale, incontournable, elle la cantonne aux pleines pages, sa mise en couleur s’en faisant graduellement l’écho dans les cases qui les précèdent. Une jolie découverte, celle de Tom Thomson, et du bien bel ouvrage, subtil à souhait.  - Aurélie

Roman... Bande dessinée... Livre illustré... Thornhill est un titre difficile à classer, tant il revêt différentes formes. Peut-être pourrions-nous simplement le qualifier, pour le coup, de véritable roman graphique, tant il correspond à cette description ! Ce titre nous plonge dans le quotidien d’Ella, une jeune fille ordinaire dont la curiosité l’amène à observer depuis sa chambre l’étrange manoir voisin au doux nom de Thornhill. Abandonnée depuis des années, cette demeure était un orphelinat ou s’est joué un terrible drame. Depuis, réputée maudite, elle est laissée à l’abandon, mais entre ses murs une présence intrigue et attire Ella plus que de raison. Inquiétant et mystérieux, le récit se lit d’une traite. Il tient en haleine de bout en bout et nous gratifie d’une fin non conventionnelle. Il oscille entre deux époques, mais surtout deux formats narratifs. Textes et illustrations se croisent, se complètent, racontent le passé pour l’un, le présent pour l’autre et créent par cette danse, une atmosphère où la tension va crescendo. Derrière l’ambiance nappée d’étrangeté et de fantastique, se cache en réalité un récit âpre et fort en émotion. Une œuvre marquante et originale à découvrir.  - Michaël

Guylaine passe une enfance heureuse auprès de ses parents, qui l’aiment, et de son meilleur ami Gilles. Et puis c’est la chute : la méchanceté de garçons, la maladresse des parents répandent des pensées néfastes dans son esprit : elle crée la catégorie des moches, s’y inclut et devient invisible, se rend indésirable. Elle essaie parfois de s’en extirper par divers stratagèmes : l’humour, l’amitié, l’amour, le travestissement. Devenue adulte, le statut de célibataire n’est pas simple à assumer ; Guylaine trouve des parades pour échapper aux jugements et se réfugie au théâtre. Plongée dans le noir de la salle, à l’abri des regards, elle écoute des textes libérateurs. Lentement, ces mots nouveaux, positifs, infusent jusque dans son esprit ; elle tisse de nouveaux liens, se crée de nouveaux espaces réflexifs qui l’aident à se libérer enfin du regard et des attentes des autres. A travers l’histoire de Guylaine, on touche d’abord à la problématique injonction faite aux femmes d’être belle, ce dès leur plus jeune âge et tout au long de leur vie. Vous pourrez objecter que, sous l’excellent coup de pinceau de Cécile Guillard et la fine plume de François Bégaudeau, Guylaine n’est pas moche, comme l’atteste la couverture de cette BD. Il s’agit moins d’une vérité que de son sentiment et d’un jugement, celui de certain(e)s porté à la va-vite et surtout celui que Guylaine porte sur elle-même : elle souffre du poids de mots malheureux. Ceux qui s’insinuent dans l’esprit, font courber l’échine, invisibilisent et crée des maux durables. Des mots, des textes, qui à l’inverse peuvent aider à révéler, à se révéler, hors du regard des autres, quitte à sortir de la norme parfois. S’accepter : le travail de toute une vie, en l’occurrence celle de Guylaine.  - Aurélie