Conseils lecture
1911. Augustin Lesage, mineur, fils et petit-fils de mineur, époux de fille de mineur, entend une voix : il sera artiste. Bien sûr cette idée provoque l’hilarité. Seul Ambroise y croit, et l’invite bientôt à une séance de spiritisme. Augustin entend à nouveau cette voix, qui lui intime de devenir peintre et le conseille dans ses choix de matériaux, conduisant même sa main sur la toile. Au bout d’une gestation longue d’une année, cette mystérieuse et minutieuse alchimie donne naissance à une toile virtuose de trois mètres sur trois. Le directeur de l’Institut Métapsychique International (IMI), le docteur Osty, décide de se pencher sur ce phénomène et rencontre celui qui n’est alors qu’un simple mineur. Avec l’aide de ces deux bienfaiteurs, Augustin poursuit sa voie et peint plus de 800 toiles.
Enferme-moi si tu peux débute avec cette biographie d’Augustin Lesage, l’une des figures les plus connues de l’Art Brut. Cet art est, selon Jean Dubuffet, l’œuvre de personnes dépourvues de toute formation et culture artistiques : l’art des fous et des marginaux… de ceux qui n’ont aucun droit. Pandolfo et Risjberg explorent celui-ci à travers six biographies (citons Madge Gill ou le Facteur Cheval) qu’ils relient entre elles de façon judicieuse et malicieuse, interpellant le lecteur sur la folie de ces créateurs mis au ban de la société parce que pauvres, femmes, infirmes, mal nés. On retrouve avec bonheur le couple d’auteurs de l’excellente BD Serena, qui une fois encore nous livre de beaux portraits intimistes, écrits à la première personne et sublimés par le dessin évanescent de Terkel Risjberg. Découvrir cette galerie d’artistes hors normes, c’est se rendre compte que la liberté, comme la création, provient avant tout d’un élan intérieur irréductible et salvateur, parfois issu du gouffre, mais toujours salvateur. Un album optimiste et d’une très qualité, graphique et narrative. - Michaël
Masha, jeune adolescente, ne sait plus très bien qui elle est. En manque de repères, elle décide de répondre à une bien étrange annonce « URGENT, RECHERCHE ASSISTANT(E) : compétences en transport, cuisine et nettoyage exigées. Doit savoir obéir aux ordres. Avoir des pouvoirs magiques est un plus. Ne pas avoir le vertige est impératif. Entrez dans la maison de la Baba Yaga pour postuler. »... « L’assistante de la Baba Yaga » est un comics, bande dessinée américaine, destiné aux enfants. Ce récit complet mêle habilement irréel et quotidien grâce à différents niveaux de lecture. Loin d’être une simple histoire de sorcière, ce titre aborde des thèmes importants de (re)construction de soi. Le thème du deuil est sous-jacent, mais permet d’introduire la notion des origines et de l’importance de savoir qui l’on est afin de pouvoir devenir. Marika McCoola, avec une écriture limpide, livre un récit sans temps mort, avec du mystère, mais aussi et surtout du positivisme. Elle est aidée par les illustrations épurées et colorées d’Emily Carroll, renforçant l’atmosphère chaleureuse de l’ensemble. La bande dessinée jeunesse a fait sa mue et propose en parallèle aux récits humoristiques des titres au ton plus grave, plus subtil, aux univers riches et variés d’une grande force narrative. Si vous en doutez encore, je vous invite à lire mes anciens posts pour vous en convaincre. Les toutes jeunes éditions Kinaye ont bien compris cette évolution, qui se reflète dans leur catalogue. D’ailleurs voici leur ligne éditoriale : « notre maison d’édition a pour but de faire connaître aux enfants francophones des histoires inédites empreintes de modernité, construites autour de thèmes forts qui privilégient les valeurs humanistes avec une représentation des diversités, sans discrimination. Nous sélectionnons les ouvrages de notre catalogue pour leurs qualités aussi bien narrative qu’artistique, tout en veillant à ce qu’ils valorisent l’intelligence et la curiosité des enfants ». Cela semble bien alléchant, alors si tous ces titres à venir sont du même acabit que celui-ci, votre Espace COOLturel sera heureux de vous les faire découvrir.
Gaspard est berger et en est fier. Il aime sa liberté, ses montagnes et ses moutons, mais déteste par dessus toute cette bureaucratie qui lui a imposé la cohabitation avec le loup. Cet animal sauvage qui tue et rend fou les troupeaux. Cet animal qu’il voudrait voir disparaître afin de retrouver paix et sérénité. Alors, au détriment de la loi, il se lance dans un combat à l’issue duquel ne restera que l’un ou l’autre... Jean-Marc Rochette nous gratifie une nouvelle fois d’un très beau récit « montagnard ». Nous retournons donc, après « Ailefroide », au cœur du Massif des Écrins, dans la vallée du Vénéon. Si l’alpinisme était à l’honneur dans le premier album, « Le loup » aborde un aspect différent, plus universel, celui de la difficile cohabitation entre économie et environnement. Sous la forme d’un duel entre un loup et un berger Jean-Marc Rochette dénonce cette aberration qui nous conduit tous sur des sentiers dangereux. Il ne charge pas les bergers, qui sont eux aussi victimes du système économique dans lequel l’Homme modifie et/ou détruit la biodiversité. Le loup, l’animal, le berger, l’humanité : chacun sa place, chacun mérite de vivre et c’est bien ce message qui nous est envoyé. Nos héros à deux ou quatre pattes sont beaux et fiers, ils représentent la nature, chacun à leur façon, ils essayent de vivre, survivre dans un milieu difficile. Ce très beau récit est composé d’illustrations très fortes, de paysages glacials et bénéficie d’un découpage savamment orchestré, distillant rythme et action. « Le loup » est une ode à la nature, à la tolérance. Il serait regrettable de s’en priver, mais souhaitable de le partager. - Michaël
Le rêve d’Arno est de devenir astronaute, mais issu d’une famille sans un sou, les souhaits sont souvent bien plus difficiles à réaliser... « Arno », avant d’être un bel album jeunesse, est une leçon de courage, une leçon de vie. Celle d’aller au bout de ses rêves malgré les obstacles qui peuvent parsemer son chemin. Bien sûr, toutes les histoires sont différentes et n’ont pas la même fin, mais ne dit-on pas qu’il vaut mieux vivre de remords que de regrets ? Ce titre illustre ce propos à merveille car, malgré les difficultés, notre jeune ami garde espoir et fait une rencontre, la rencontre qui change une vie. Je ne parle pas d’âme sœur, mais de ces personnes qui vous tendent la main lorsque vous en avez le plus besoin. De ces personnes qui vous aident un temps et vous laissent prendre votre envol sans rien attendre en retour. Oui « Arno » est un très bel album sur ce que l’humanité a de plus beau à offrir. Ximo Abadia nous offre également de très belles illustrations. Artiste surréaliste espagnol, il excelle dans les compositions, mélanges de couleurs, de collages et de dessins. « Arno », ou « Toto » dans sa version originale, est tout simplement un livre qui fait du bien. - Michaël
Raowl pourrait être un prince charmant, si ce n'est que sa véritable nature est d'être la Bête. Un peu comme dans le conte de Perrault, lui, ce qu'il souhaite avant tout, c'est d'être aimé par une princesse. Mais comment en trouver une ? Facile car c'est bien connu, il y a toujours quelque part une princesse dans la panade... « Raowl » est la nouvelle série humoristique de Tebo et une fois encore, cet auteur à l'humour corrosif frappe fort. Nous retrouvons tous les ingrédients déjantés et délirants de son univers : une succession de gags et de situations burlesques qui s'enchaînent à un rythme effréné, le tout au service d'une histoire originale se jouant des contes de notre enfance. Jeux de mots, situations burlesques font bon ménage et leur message est magnifié par les illustrations de Tebo. Son style, cartooniste, insuffle une énergie folle à nos héros par des gestuelles et des visages souvent distordus, mais désopilants. Il se permet également de très belles doubles-pages d'action, laissant ainsi parler tout son talent d'illustrateur. Une autre force de ce récit est qu'il n'y a point de sexisme : l'autre personnage principal est la Belle, qui comme son compère n’est pas la dernière pour en découdre. Tebo réussit une entrée fracassante dans le catalogue Dupuis, éditeur habitué à des titres jeunesse plus « gentils », mais soucieux de diversification et gage de qualité. - Michaël
Tiens ! Voici un gnome. Comme il a l’air gentil et tout mignon avec son petit bonnet rouge… Ah bah non, pas du tout. Monsieur le Gnome est quelqu’un de très ronchon, voire même de très antipathique ! A être aussi désagréable, des ennuis pourraient bien lui arriver… « Monsieur le Gnome » est un album rigolo dans son récit, mais aussi par ses illustrations. En effet, l’artiste britannique Fred Blunt possède un style graphique unique, oscillant entre le genre « toons » et le « maître » Quentin Blake. Chaque page de l’album génère un sourire par les mimiques des personnages, mais aussi par une mise en scène efficace. Au premier abord, avec un regard non averti, on pourrait penser que le dessin est simple, mais il n’en est rien. Ici, l’artiste a cherché, recherché la juste expression avec un minimum de traits. Les couleurs sont également choisies avec réflexion, elles accompagnent, sans le noyer, l’effet caustique du crayonné. L’ajout de matière, peu, mais juste assez, parachève chaque planche. L’histoire appartient au registre de la comédie. Son écriture, rythmée et théâtralisée, permet de jouer, de donner vie à l’album. Aussi ce livre permet un beau moment de rigolade entre enfants et parents. Et pour finir, dans les dernières pages, nous apprenons un terrible secret, moins drôle, mais que la morale nous empêche de dévoiler… « Monsieur le Gnome » est un album sans prétention, dont la seule ambition est de vous divertir et c'est chose réussie ! - Michaël
Michel, 19 ans, commence son apprentissage en coiffure dans le salon de Gérard. Il apprend les gestes et savoir faire de son métier auprès de Carole, une jolie blonde peu farouche. Le jeune homme inexpérimenté qu’il est, succombe évidemment à son charme...Etre coiffeur lui vaut quelques moqueries dans la cité, mais lui permet de se rapprocher facilement de la gent féminine et d’apprendre à la connaître. Notre jeune homme va donc découvrir – avec quelques difficultés mais surtout beaucoup de bonheur – qu’il n’a pas besoin d’être un apollon ou un séducteur pour toucher le cœur des femmes. Et surtout de celle qui - à son grand étonnement – lui plaît de plus en plus (malgré sa couleur ratée). Sylvain Cabot signe ici un titre plein de tendresse à l’atmosphère rétro. Un petit morceau de vie – de quartier et de jeune adulte – dans un lieu on ne peut plus banal, mais où chacun à force de petites attentions portées à l’autre, trouve sa place et se sent bien. Sylvain Cabot et son héros Michel partagent ceci : savoir enjoliver la vie à coup de couleur et de pinceau. N’hésitez donc pas, au salon Dolorès & Gérard, vous passerez un doux moment en bien agréable compagnie. - Michaël
Dans la vie, Monsieur Grumpf aspire à une seule chose : sa tranquillité. Alors, lorsqu’il désire simplement balayer l’amoncellement de feuilles qui s’accumule devant chez lui et que, toutes les cinq minutes ses voisins viennent le déranger : l’agacement se fait sentir... Voici une petite bande dessinée très agréable à lire, une véritable promenade automnale. Ce titre est destiné aux plus jeunes à partir de 5 ans. Bien sûr, l’enfant devra être accompagné dans sa découverte de l’album. En effet, même si ce titre a été conçu sans texte, quelques dialogues animent tout de même l’ensemble. L’enfant y découvrira les valeurs de l’amitié, de l’entraide et de la générosité. De façon ludique, il abordera aussi le thème des saisons. Pour ce premier tome d’une série de quatre, l’automne est la trame de fond. Avec subtilité et tendresse, Dav évoque les changements qui s’opèrent dans la nature : hibernation, chute des feuilles... Le tout distillé dans une histoire touchante, dont le héros grognon a peut-être un plus gros cœur qu’on ne le croit. L’auteur peaufine l’œuvre par des illustrations animalières efficaces, au trait sûr et expressif teinté d’un bel orange de saison. - Michaël
Kaoru Fukazawa est mangaka. Il vient de terminer sa série à succès « Sayonara sunset ». Quinze tomes publiés à un rythme effréné qui l’a épuisé. Malgré les félicitations sur son travail, on lui demande déjà de penser à son prochain titre. Pourtant, ces années à vivre de son rêve ont laissé en lui un goût amer et petit à petit ont aspiré son inspiration. Le temps de la remise en cause est arrivé. Que veut-il vraiment ? Quelle vie doit-il choisir ? A lui de le découvrir… En quelques pages, Inio Asano, nous livre un récit poignant, un récit subtil sur la psychologie humaine. Il se questionne sur le bien-être, sur le bonheur et où le trouver. Il recherche l’épanouissement personnel à travers la vie professionnelle et/ou personnelle. Il interroge également sur les personnes qui vivent leur rêve à fond et délaissent par conséquent leur entourage. Enfin il parle de création, d’inspiration et des leviers pour la raviver. Attention, pas de prise de tête dans ce récit. Non, nous suivons les états d’âmes de Kaoru Fukazawa avec passion, nous nous invitons dans ses pensées, partageons parfois les mêmes car son histoire est universelle et nous touche tous. C’est brillant de justesse, le récit vous trottera dans la tête un petit moment, mais n’est-ce pas l’apanage des meilleurs œuvres littéraires ? L’illustration est également un pur plaisir, notre héros transpire la mélancolie. Chaque personnage, chaque attitude est parfaitement réalisé et renforce le récit. Les illustrations sont en noir en blanc, mais à la différence de nombreux titres japonais, rehaussées de lavis très réussis qui donnent de l’épaisseur aux crayonnés. Un des plus beaux titres de cette année pour un seinen (bande dessinée japonaise pour adulte) complet en un volume. - Michaël
Au royaume des Six-Ponts la vie s’écoule plus ou moins paisiblement pour Anne, la tavernière. Son établissement est en reconstruction et sera fin prêt à recevoir tous les convives invités pour le mariage de son amie d’enfance, la fille du roi. François, l’ancien forgeron, maintenant soldat, n’est enfin plus amoureux d’elle, ouf... La reine, acariâtre personnage, semble elle aussi faire profil bas. Bref tout va bien... Sauf que non, en vérité, en coulisse un terrible drame se joue et va frapper pour changer à jamais la destinée de tous nos protagonistes... C’est avec joie que nous retrouvons les aventures de Anne. Débuté en 2009, notre chère tavernière a égaillé l’espace de 6 albums la vie de vos chérubins et de tous les lecteurs qu’elle a croisés. Véritable petit ovni à sa sortie par le fait d’une écriture différente pour l’époque, par son style humoristique sans pareil, « le royaume » s’est rapidement imposé comme un incontournable jeunesse. Ce dernier volume, car oui, les meilleures choses ont une fin, est différent des albums précédents. Pour commencer, il peut être lu séparément, il forme à lui seul un tout, mais peut également faire office de suite et de conclusion à la saga. L’histoire plus sombre, plus complexe, mais dont l’atmosphère générale est toujours aussi légère et drôle, est truffée de mystères et de rebondissements. A aucun moment l’ennui n’est présent. L’histoire est partagée entre des scènes d’actions, d’humour et d’émotions, le tout savamment équilibré. Jamais méchant, mais subtil et intelligent, le récit s’adresse aux enfants comme aux adultes, les deux y trouveront leur bonheur et peut-être même des moments de partage. Pour terminer je parlerais volontiers de l’illustration car pour moi, Benoît Feroumont est aussi un immense illustrateur. Son trait respire la vie, ses personnages sont charismatiques, les contours fins et précis permettent une lecture de l’image avec clarté. Il est adepte du gaufrier et des plans moyens concentrant au maximum l’attention sur la scène et l’action en cours. Une réussite pour une œuvre devenue un classique de la bande dessinée et un auteur talentueux que j’espère un jour recevoir dans votre Espace COOLturel ! - Michaël