Amour
Dans un futur proche les holdings se substituent aux Etats, les pays en faillite sont rachetés par des entreprises et démantelés. On rapatrie l’appareil de production, dont les habitants font partie intégrante, sur son propre territoire, où ils deviennent des cilariés, un mélange de salariés et de citoyen dans un nouveau modèle de société régi par le travail et le profit. Une société inégalitaire où une minorité profite des richesses du monde au détriment de la majorité.
De la science-fiction ? Pas tant que cela finalement !
Zem, le héros, est un de ces hommes arrachés de force à son pays ruiné : la Grèce. Flic apatride il a touché le fond d’une vie qui ne lui appartient plus. Il déambule dans le marasme putride de son quartier de dernière zone, jusqu’au matin où il est appelé dans un terrain vague pour constater un meurtre. Un crime qui va trouver une résonance particulière dans son existence.
Un ouvrage d’une grande maîtrise, qui visite avec maestria différents genres littéraires : policier, roman noir, anticipation, dystopie et tragédie. Un sens aigu de la narration, dans ce récit où s’entrechoquent les voyages introspectifs dans la noirceur abyssale du héros et le rythme disco d’une enquête aux multiples facettes. Une bande originale merveilleusement orchestrée où « Les Smiths » reprendraient les tubes des « Village People ».
Ce roman est, également, une critique acerbe et très juste du monde contemporain et de ses errements : l’ultralibéralisme, la corruption, l’asservissement, la pollution, le cynisme des classes dirigeantes, la privation de liberté, le contrôle des masses par les technologies…. Et enfin, une réflexion profonde sur l’immigration et le déracinement, sur ce qui constitue l’identité d’un individu et sa culture.
Un texte d’une très grande richesse !
Qui est Dara, cette belle inconnue qui fréquente assidûment le « BOOK bar » ? Seuls indices, son nom d’artiste et les planches de BD qu’elle écrit et dessine chaque mois pour le magazine « Fluide Glacial ». Pour en savoir un peu plus, Manon et Joshua, les gérant·es du bar, décortiquent et analysent chaque nouveau numéro et se partagent leurs extrapolations sur la personnalité de Dara.
Récit complet en un volume, « Dans la tête de l’inconnue du bar » est une bande dessinée humoristique de style feelgood, si l’on ne tient pas compte des récits « gores » de Dara. Car l’originalité de ce titre est que nous lisons une BD dans la BD, nous suivons à la fois les aventures de nos tenancier·es curieux·ses et celle d’une multitude de personnages issu·es de l’imagination fertile de Dara. Cette imagination va nourrir et alimenter les débats, un jeu du savoir sans savoir en quelque sorte.
Jonathan Munoz propose donc un concept assez jouissif, se moquant tendrement de tous·tes ces penseur·euses qui pour exister se doivent de toujours analyser, chercher un sens caché aux choses, encore plus en matière d’arts alors que la création n’est souvent qu’une inspiration du moment... et c’est déjà beaucoup.
« Dans la tête de l’inconnue du bar » est une bande dessinée pleine de charme et d’humour, mais aussi une belle histoire d’amour.
Solange et Albert grandissent sans amour dans un monde cruel et stupide où les adultes comme les enfants les rejettent et pire parfois, les maltraitent. Ils poussent comme ils peuvent, sans tuteur, un peu bancals jusqu’au jour où ils se rencontrent. Adossés l’un à l’autre, puis enlacés, ils puisent dans cette union le courage et la force nécessaires pour vivre.
Ils grandissent essayant tant bien que mal de s’intégrer, avec le peu de moyens qu’ils ont, dans cette société qui n’a jamais voulu d’eux. Jusqu’à ce jour, au bord de la mer, où une énième provocation fait basculer leur existence, car Solange et Albert se sont construits seuls, à l’écart, avec leurs propres valeurs, leurs propres règles et leur propre justice.
L’histoire bouleversante de la fuite en avant ou plutôt en arrière de ce couple, à la recherche, désespérément, de ce qui leur a toujours manqué : l’amour d’un parent.
Un récit entraînant et surprenant, entre ombre et lumière, dans lequel alternent la délicatesse des sentiments et la violence meurtrière. Un magnifique roman noir qui nous plonge avec maestria dans la psychologie de ses deux êtres sacrifiés.
Mais l’expérience ne s’arrête pas là, le roman fait partie intégrante d’un projet plus large constitué également d’une série. Une œuvre complète qui nous permet de retrouver dans le téléfilm les personnages du livre et son auteur, quelques années plus tard. Une mise en abîme géniale qui offre un nouvel éclairage à l’intrigue. C’est à la fois très bien écrit et merveilleusement joué, par des acteurs de talent : Niels Arestrup, Sami Bouajila, Alice Belaïdi… Une grande réussite !
Un dernier conseil : lisez le roman avant de regarder la série, la découverte en sera d’autant plus belle.
Depuis le départ de Clara, Paul n’est plus bon à grand chose. La vie le lasse et il s’obstine à se terrer chez lui, fuyant la compagnie de ses proches. Musicien, il ne peut plus honorer ses contrats, son inspiration et son talent se sont évaporés. Pourtant, à de rares moments, des éclaircies percent sa morosité... One shot semi-fantastique, « Inversion » est un récit atypique, mélangeant différents genres, différentes thématiques. Récit d’une part sur le chagrin amoureux et d’autre part sur l’inspiration artistique. Le tout est savamment saupoudré d’un brin de fantastique qui rend l’intrigue différente et mystérieuse. Un suspense s’installe doucement dans le récit et nous entraîne avec bonheur jusqu’à sa conclusion. Je parlerais également de l’illustration, dont le trait faussement hésitant nous dévoile des planches d’une grande technicité, par exemple les pages 25 et 39, pour ne citer qu’elles. Des prises de vue rares en bande dessinée, qu’on ne peut qu’apprécier. - Michaël