Enfance et jeunesse
Il y a le souvenir d’enfant, le burger, les frites et le jouet, le rêve américain en quelques sortes. Puis dix ans plus tard, l’envers du décor, un premier boulot, le monde des adultes, l’aliénation par le travail. De l’entretien de recrutement jusqu’à son dernier jour, l’autrice décrit méticuleusement son emploi dans un fast-food. Elle dissèque l’organisation du travail, les rapports de force et peu à peu le glissement dans le système, lutter pour la meilleure place, accepter les frustrations, les petites brimades, les conditions exécrables et l’oubli du corps, corps qui rapidement s’efface au détriment de la machine, de ses cadences…
En parallèle, avec la même minutie, Claire Baglin dépeint son enfance, se souvient des petits détails du quotidien qui forment un grand tout. Une existence heureuse, dans un milieu modeste et en filigrane la vie du père, un ouvrier spécialisé. La même pénibilité du travail, le même manque de moyens avec lequel il faut composer, les mêmes dangers, mais malgré tout le sentiment d’appartenir à quelque chose et une certaine fierté de son travail. L’héroïne, elle, n’appartient à rien : c’est un simple rouage dans la grosse machine à hamburgers. Dépossédée d’elle-même, pourrions-nous croire, si tout au long du récit elle ne gardait pas ce formidable recul, ce regard critique qui la rend profondément humaine.
Par ces incessants retours à l’enfance du personnage, au-delà de la dégradation d’une génération à l’autre des conditions de travail des plus défavorisés, ce que nous raconte l’autrice, c’est comment se forge une personnalité. Qu’est-ce qui fait que face à l’avilissement, à la violence d’un monde professionnel déshumanisant, on puisse garder son libre arbitre, on puisse rester vivant ?
Dans ce magnifique roman, épuré et pudique, Claire Baglin réussi à exprimer par une description finement ciselée du quotidien et de ses gestes, des émotions d’une grande profondeur.
Dans ce roman autobiographique, Maria Larrea, fille d’immigré·es espagnoles, nous invite à grimper dans son arbre généalogique. Une ascension, pas toujours simple mais au combien passionnante, où il faut se frayer un chemin entre les parcours tumultueux et rugueux de ses aïeul·les. Où l’on côtoie la misère, terreau d’ancêtres mauvais·es comme du chiendent. Un arbre dans lequel les branches sont parfois brisées comme les destins ; où l’on porte souvent son héritage comme un fardeau.
C’est de cette histoire, de la rencontre de deux êtres mal-aimés, qu’éclos Maria un beau jour de 1979 sous le soleil de Bilbao. Elle grandit dans la petite loge de ses parent·es, concierges au théâtre de la Michodière à Paris et c’est un vrai plaisir d’assister au spectacle de cette enfant devenant adulte et à son tour mère. Maria a fait des études prestigieuses, elle est maintenant installée, mais persiste en elle une petite faille, qu’elle ne parvient pas à s’expliquer. Comme une question restée sans réponse qui résonne en elle. Puis soudain tout bascule !
Un très beau roman, sur l’identité où l’on découvre page à page qui est Maria, un voyage introspectif, rythmé et émouvant et enfin pour les natifs des années 70, dont je fais partie, une belle Madeleine de Proust.