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Jérôme

A la fin du dix-neuvième siècle aux États-Unis, il ne fait pas bon être stérile pour les femmes. Ada, l’héroïne, l’apprend à ses dépens, elle est obligée de fuir son village pour préserver sa vie. Elle trouve refuge dans un couvent, un endroit clos où elle se sent rapidement à l’étroit, une opportunité s’offre alors à elle : rejoindre le gang du Kid et devenir Hors-la-loi.

Anna North, dans ce récit, dépoussière le genre du western et nous offre un nouvel éclairage sur le Far West : merveilleuse contrée où après avoir massacré les indien·nes on pend les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants. Au-delà de magnifiques descriptions des grands espaces américains, elle livre une fine analyse de la société de l’époque et de ses mœurs. Elle nous décrit comment la religion, et l’ignorance font de celles qui ne peuvent pas donner naissance des boucs émissaires sur lesquels se soulage le reste de la population de la dureté de leurs existences. Elle pose en cela une question fondamentale : faut-il obéir aux lois quand elles sont injustes ? Ou ne vaut-il pas mieux être Hors-la-loi ?

Enfin, en plus de régler son compte au vieux cliché du cowboy, figure de proue de la masculinité au vingtième siècle (RIP John Wayne), cet ouvrage revisite avec brio le genre du roman d’aventure et cultive avec maîtrise l’art du rebondissement. Un des premiers westerns, mené au galop, avec en toile de fond les prairies du Colorado et l’émancipation des femmes.

Voici un merveilleux petit roman d’anticipation, réconfortant et bienveillant qui, une fois n’est pas coutume, envisage positivement l’avenir de l’humanité, tout en évitant l’écueil du récit mièvre et sirupeux, dégoulinant de bons sentiments.
Sur Panga dans un avenir lointain les êtres humains vivent en respectant leur environnement. Ils ont développé grand nombre de stratégies et de techniques leur permettant de réduire au minimum leur impact sur la planète. Ici tout est beauté et harmonie et on se laisse, alors, gentiment bercer par l’idée que oui c’est possible ! Et ça fait un bien fou !
Mais tout n’est pas si simple, Dex, moine pourtant émérite, n’est pas réellement convaincu par la vie qu’il mène. Il se lance alors dans une quête existentialiste qui va le pousser à explorer la nature sauvage tout en sondant sa nature profonde. C’est au détour d’une clairière qu’une rencontre inattendue lui permettra de mettre en perspective son rôle et la place de l’humanité dans le monde.
Un texte à la fois doux, drôle et profond, une grande réussite !

A noter : bien qu’il s’agisse du volume 1 de la nouvelle série de l’autrice Becky Chambers, ce récit aurait tout à fait pu se suffire à lui-même, son dénouement n’appelant pas forcement une suite.

Russ Hidebrandt, pasteur à Chicago, est en pleine crise de la quarantaine . Déçu par son travail, sa femme et sa famille, une seule chose le préoccupe désormais : son nombril et sa libido. Il emploie le plus clair de son temps à échafauder des stratégies pour séduire Frances, une ravissante paroissienne, tout en sauvant la face.

Cependant personne n’est dupe ni sa progéniture, ni son épouse, loin en réalité de la femme docile qu’elle semble incarner. Nous sommes en 1971, l’Amérique oscille entre conservatisme et mouvement hippie, guerre et paix, sexe, drogues et Rock’n’roll. Rien ne va plus dans la famille Hidebrandt et le jeu de massacre peut commencer !

Jonathan Franzen dresse ici une très belle galerie de portraits en proie aux errements de leur foi où à la recherche d’un idéal qui leur échappe. Une critique sociale, sarcastique à souhait, qui dépeint des personnages sensibles, lâches, attachants, psychotiques, tour à tour généreux et égoïstes, loin des stéréotypes d’une quelconque bien-pensance moralisatrice. La vraie vie quoi !

Un style sans concession ni fioritures, réaliste et fluide, au service d'un récit prenant. Sachant qu'il s'agit du premier volume d’une trilogie, on a hâte de connaître la suite !

Le colonel, militaire de carrière, exécuteur des basses tâches, exécuteur tout court, ne dort plus. Dans la nouvelle ville, sur la ligne de front où il vient d’être affecté, peu à peu son image disparaît. Il faut dire qu’après les bombes qui ont méthodiquement rasé les bâtiments, maintenant la pluie qui tombe sans discontinuer, en rideau, efface les paysages, l’horizon, les âmes.
Les jours passent, et sa silhouette, son visage deviennent de plus en plus flous, délavés. Lessivé par les guerres, pour un camp où pour l’autre, sans convictions, mis à part celle du travail bien fait, car militaire c’est son métier et comme le plombier répare les tuyaux, il torture les corps.

C’est dans la peau de ce personnage peu recommandable que l’autrice nous transpose, un être complexe, pris au piège du système, effroyable mais pas entièrement méprisable. Une rencontre qui vous bouscule les entrailles, mais qui vous arrache aussi quelques sourires tant l’invraisemblance du conflit, poussée à son exergue par certaines métaphores, rendent les personnages et les situations drolatiques.
Un récit d’une grande profondeur, un roman magnifiquement sombre et indispensable, qui dépeint avec maestria la folie et l’absurdité de la guerre. La confirmation du très grand talent d’Emilienne Malfatto dont l’écriture précise et poétique vous emporte.

Skender est un ex-légionnaire aux abois, trop de guerres, trop de violence, trop d’alcool et les mauvaises rencontres aux mauvais moments lui ont fait dégringoler l’échelle sociale en passant par la case prison. Il survit dans un bois en périphérie de la ville et de temps en temps, il se cache pour apercevoir ses enfants à la sortie de l’école. Bref, sa vie est dévastée, jusqu’au jours où il croise un vieille ami, Max, un ancien frère d’arme.
Une rencontre fortuite qui ne l’est pas. Max le piste depuis quelques semaines, il a une proposition à lui faire, devenir gibier pour son employeur, une riche veuve passionnée de chasse.

Jusqu’ici rien de très original, le thème de la chasse à l’homme a été visité et revisité maintes fois depuis l’excellent récit « Le plus dangereux des jeux » de Tod Robbins en 1925 (également disponible à la médiathèque). L’intérêt de ce roman ne réside donc pas dans ce point de départ un peu éculé, mais dans l’approche subtile et surprenante de l’auteur, le biais qu’il va prendre pour nous balader en forêt à mille lieux de là où l’on pensait arriver. Car ici il n’est question, ni de chasse, ni de traque, mais plutôt de sentiments, d’amitié, d’amour, de trahison des autres mais aussi de soi-même, de dignité, de rachat et peut-être de renaissance et de résurrection.

L’auteur nous plonge tour à tour dans les entrailles de ses trois personnages, Skender, Max et sa patronne. Peu à peu iels prennent forme comme un paysage, trois tableaux bruts et sensibles, qui s’assemblent pour former ce magnifique triptyque que constitue l’ouvrage de Lucas Belvaux.

Un roman particulièrement bien construit et profondément humain.

En 2018 à Moscou, un père succombe sous les coups de ses trois filles âgées alors de 17, 18 et 19 ans. C’est le point de départ du roman de Laura Poggioli qui tout au long de son ouvrage, tente de comprendre comment trois jeunes femmes peuvent concevoir un tel acte et le mettre à exécution. Grâce à de nombreuses archives elle recompose le quotidien de ces trois filles et de leur mère depuis leur enfance jusqu’à ce jour fatidique où elles passent à l’acte. On découvre alors un père qui n’en a que le nom, tyrannique, abusif, violent, un monstre en quelque sorte et une société russe complice où patriarcat et tradition légitiment les violences faites aux femmes, où la corruption, la religion et le communautarisme murent les victimes dans le silence.

Le récit ne s’arrête pas là car il trouve une résonnance particulière dans l’histoire personnelle de l’autrice. Elle aime profondément la Russie pour y avoir vécu à plusieurs reprises, pour avoir appris sa langue, aimé ces habitants. Elle se souvient tout au long du roman des moments passés là-bas, de ses amis, du bonheur partagé, de cette société attachante et contradictoire. Elle se souvient aussi de ce petit ami violent « Mitia », comment avait-elle pu accepter son comportement ? Elle se souvient de toutes les violences dont elle a été victime, de celles qui ont été faites à ses aïeules dans une autre société, en France. Et c’est là toute la force de ce livre. Non, les violences faites aux femmes ne sont pas une pratique barbare d’un autre pays, d’une autre culture ! Elles existent partout, au quotidien, jamais anodines et toujours insupportables.

Un roman parfois dur mais absolument nécessaire, qui vous met en face de vos responsabilités, comme les trois regards qui vous fixent sur la couverture du livre. Ceux de ces trois jeunes Moscovites : Krestina, Maria et Angelina, si lointaines et si proches, sacrifiées comme tant d’autres sur l’hôtel du patriarcat.

Il y a le souvenir d’enfant, le burger, les frites et le jouet, le rêve américain en quelques sortes. Puis dix ans plus tard, l’envers du décor, un premier boulot, le monde des adultes, l’aliénation par le travail. De l’entretien de recrutement jusqu’à son dernier jour, l’autrice décrit méticuleusement son emploi dans un fast-food. Elle dissèque l’organisation du travail, les rapports de force et peu à peu le glissement dans le système, lutter pour la meilleure place, accepter les frustrations, les petites brimades, les conditions exécrables et l’oubli du corps, corps qui rapidement s’efface au détriment de la machine, de ses cadences…

En parallèle, avec la même minutie, Claire Baglin dépeint son enfance, se souvient des petits détails du quotidien qui forment un grand tout. Une existence heureuse, dans un milieu modeste et en filigrane la vie du père, un ouvrier spécialisé. La même pénibilité du travail, le même manque de moyens avec lequel il faut composer, les mêmes dangers, mais malgré tout le sentiment d’appartenir à quelque chose et une certaine fierté de son travail. L’héroïne, elle, n’appartient à rien : c’est un simple rouage dans la grosse machine à hamburgers. Dépossédée d’elle-même, pourrions-nous croire, si tout au long du récit elle ne gardait pas ce formidable recul, ce regard critique qui la rend profondément humaine.

Par ces incessants retours à l’enfance du personnage, au-delà de la dégradation d’une génération à l’autre des conditions de travail des plus défavorisés, ce que nous raconte l’autrice, c’est comment se forge une personnalité. Qu’est-ce qui fait que face à l’avilissement, à la violence d’un monde professionnel déshumanisant, on puisse garder son libre arbitre, on puisse rester vivant ?

Dans ce magnifique roman, épuré et pudique, Claire Baglin réussi à exprimer par une description finement ciselée du quotidien et de ses gestes, des émotions d’une grande profondeur.

Dans ce roman autobiographique, Maria Larrea, fille d’immigré·es espagnoles, nous invite à grimper dans son arbre généalogique. Une ascension, pas toujours simple mais au combien passionnante, où il faut se frayer un chemin entre les parcours tumultueux et rugueux de ses aïeul·les. Où l’on côtoie la misère, terreau d’ancêtres mauvais·es comme du chiendent. Un arbre dans lequel les branches sont parfois brisées comme les destins ; où l’on porte souvent son héritage comme un fardeau.

C’est de cette histoire, de la rencontre de deux êtres mal-aimés, qu’éclos Maria un beau jour de 1979 sous le soleil de Bilbao. Elle grandit dans la petite loge de ses parent·es, concierges au théâtre de la Michodière à Paris et c’est un vrai plaisir d’assister au spectacle de cette enfant devenant adulte et à son tour mère. Maria a fait des études prestigieuses, elle est maintenant installée, mais persiste en elle une petite faille, qu’elle ne parvient pas à s’expliquer. Comme une question restée sans réponse qui résonne en elle. Puis soudain tout bascule !

Un très beau roman, sur l’identité où l’on découvre page à page qui est Maria, un voyage introspectif, rythmé et émouvant et enfin pour les natifs des années 70, dont je fais partie, une belle Madeleine de Proust.

Au tribunal de Bobigny Pauline attend le jugement, elle n’a pas commis de crime, elle espère juste pouvoir reprendre le prénom que lui ont donné ses parents à sa naissance en URSS : « Polina », avant que celui-ci ne soit francisé. Simple formalité pense-t-elle ! Pas tout à fait, car pour certains renier le prénom que vous a octroyé la république, c’est un peu la trahir, cracher dans la soupe. Comme si, venant d’ailleurs, on ne devenait jamais un citoyen à part entière, comme si on devait être toujours redevable, faire ses preuves. Comme si on devait choisir un pays, plutôt qu’un autre, comme si on vous demandait avec le plus grand sérieux : « tu préfères ton père où ta mère ? ».
Alors, pour répondre à cette absurdité, Polina remonte le fil de sa vie et aussi le fil des mots, de sa langue maternelle à sa langue d’adoption, de l’URSS à la France, elle tisse un drapeau imaginaire, celui d’une identité double et à la fois unique. Elle fait son autoportrait, toile tendue au-delà des frontières, preuve vivante que l’on peut exister au-delà des nations, multiple et riche de ses différences.

On suit le parcours de son intégration à travers son apprentissage d’un nouveau langage. Puis le combat de sa mère, pour que ses enfants n’oublient pas le russe, pour qu’une langue ne remplace pas l’autre. Car conserver sa langue maternelle, c’est aussi resté fier de ses racines, respecter l’héritage de ses aïeuls et leur montrer qu’on les aime.

Un texte d’une grande tendresse, à la fois subtil et drôle qui parle merveilleusement de l’immigration et de l’identité à travers la symbolique du langage.

Un premier roman particulièrement maîtrisé. Mon coup de cœur de la rentrée littéraire.

A Paris, à la Belle Époque, on fête la victoire, la musique des orchestres remplace le son du canon. Pourtant, même avec une coupe de champagne, pour certains la pilule est dure à avaler. Le héros, un ancien combattant estropié au champ d’honneur, a du mal à tourner la page. Alors pour oublier ce que la guerre lui a fait subir, pour réparer ses injustices, il propose son aide aux familles d’anciens soldats dans la détresse.

Un matin de 1925 il est contacté par une riche héritière afin de retrouver son fils. Après quelques jours il découvre que le destin du jeune homme est intimement lié à celui d’une femme dont il est follement amoureux. Commence alors un merveilleux voyage à la recherche de ses amants disparus où l’on découvre peu à peu l’infini pureté de leurs sentiments.

La noblesse de leurs âmes comme une réponse à la brutalité de la guerre et à sa barbarie, avec tout au long du récit cette question suspendue : « l’amour et la poésie pourront-ils suffire à surmonter l’atrocité et l’absurdité des combats ? »

Une histoire d’une grande sensibilité, pleine de surprises et de rebondissements, une danse onirique menée tambour battant, au rythme des cœurs bouleversés, sous le tonnerre des bombes. "Roméo et Juliette" dans les tranchées, inspiré par Boris Vian et filmé par Tim Burton.