Conseils lecture
Wilfrid Lupano, connu pour ses récits à destination des adultes, nous livre une « charmante » histoire sur le totalitarisme. Écrit pour la jeunesse, mais avec subtilité, il dépeint en quelques pages le grotesque de ces régimes despotiques. Aux pinceaux, Stéphane Fert est parfait. Son style, savant mélange de gouache et de peinture numérique (Photoshop), est tout simplement une merveille et colle parfaitement à la loufoquerie du récit. La collection Les enfants gâtés s’enrichit une nouvelle fois d’une belle pépite. - Michaël
Dans la forêt de Bois-joli, ce soir c’est le réveillon de Noël. Mr Ours est confortablement installé dans sa tanière douillette, décorée pour l’occasion. Il neige depuis dix jours. Mr Ours a utilisé tout son bois et n’a plus de feu dans sa cheminée. En cherchant dans son grenier, il trouve un gros pull appartenant à sa grand-mère. Parfait ! il va avoir bien chaud ! En essayant le pull, il s’aperçoit que celui-ci est trop grand. Pas de souci, Mr Ours sort son nécessaire à couture et ajuste le pull à sa taille. Comme il reste de la laine, il décide de la donner à sa voisine Mme Blaireau. Celle-ci, ravie, se confectionne des guêtres. Avec la laine restante, à son tour Mme Blaireau se rend chez sa voisine Mme Hérisson…
C’est ainsi que de fil en aiguille, la laine se passe de voisin en voisin jusqu’au plus fragile habitant du Bois-joli, créant une jolie chaîne d’entraide.
Armelle Modéré écrit un très joli conte de Noël, doux comme un gros pull. Qui parle d’amitié, de partage, de solidarité. Une petite notion d’écologie puisque la laine du pull va servir à tous.
Les jeunes enfants apprécieront les animaux sympathiques et les illustrations joyeuses et colorées de ce bel album.
L’alternance entre images vives pleine page et dessins sur fond blanc avec en fil conducteur le brin de laine rose fluo donne le rythme à l’histoire.
La collection ‘’Père castor’’ reste une valeur sûre de la littérature jeunesse.
Il y en a une qui n’a visiblement pas envie de dormir. Alors, lorsque son papa s’apprête à éteindre la lumière, une question jaillit : et pourquoi ci… ? Et pourquoi ça… ? Les réponses, le papa ne les a pas toutes, mais par contre, niveau imagination, il est plutôt très fort… Voici un merveilleux album proposé par les éditions « Little Urban » qui sont coutumiers du fait. Ils nous font découvrir l’œuvre deux aut.eur.rices de talents : Marc Barnett et Isabelle Arsenault. « Parce que » est de ces albums qui marque, qui reste dans vos esprits, non pas parce que la thématique est originale, mais parce qu’il a ce petit quelque chose de plus, de différent. Il se lit et s’appréhende différemment selon les sensibilités, pour certains l’aspect humoristique ressortira, pour d’autres la tendresse véhiculée ou encore par moment le léger parfum de mélancolie. Le texte est court, mais nul besoin de nombreux mots lorsque ceux que vous utilisez sont les bons. D’ailleurs, ils s’effacent rapidement pour laisser libre cours à l’imagination du papa et de sa petite fille. C’est alors qu’Isabelle Arsenault, illustratrice, prend le relais et nous entraine dans des univers incroyables. Ici, c’est moi qui manque de mots pour décrire les illustrations, tant elles sont magnifiques. Sur papier brun, elle couche au crayonné personnages et décors qu’elle volumise avec des jeux d’ombres et de lumières, aux couleurs aquarellées. Pleine page ou double page, ces incroyables dessins vont vous fasciner. « Parce que » est un incontournable qui plaira à tous et auquel chacun pourra s’identifier. - Michaël
Nana est une petite chienne toute gentille, toute mignonne, mais son maitre lui, est violent et maltraitant.
Un jour, aidée par l’esprit des louves, elle s’évade pour gagner la forêt et ainsi renouer avec ses lointaines origines…
Sous des airs de bande dessinée d’aventure, « la petite chienne et la louve », est avant tout un titre qui traite de la maltraitance animale. De cette violence, cette colère que certains hommes possèdent en eux et qu’ils expulsent sur plus faibles, plus fragiles. Attention, ce titre n’est pas violent, ni choquant, nous sommes bien sur un récit destiné à la jeunesse et dessiné de la sorte. Par la suite l’histoire se concentre sur la quête de liberté ou tout simplement de bonheur que recherche Nana. D’ailleurs, les enfants vont l’adorer, cette petite chienne est vraiment attachante. Le dessin de Marine Blandin y est pour beaucoup : expressif, Tantôt grave, tantôt rigolo.
Cette petite chienne va vivre un formidable voyage, se perdre, mais peut-être ainsi, se retrouver…
N’attendez pas plus longtemps, venez de toute urgence adopter la belle Nana 😊
Hamet habite à Bamako, c'est un enfant plus malin que les autres qui se révolte contre un entourage qu'il trouve souvent trop arbitraire. Sa famille, oncles, tantes, cousins... pensent tous et toutes avoir leur mot à dire sur son éducation, puisque son père, absent, travaille en France. Cette famille où les qu'en-dira-t-on tordent le cou à la vérité, pour faire de lui un vaurien… il finit par lui voler dans les plumes. Quant à l'école, les punitions et les châtiments corporels y pleuvent comme à Gravelotte, si bien qu'à la fin il lui prend l'envie de la déserter. Mais le jour où son père vient à l'apprendre, il décide de l'expédier dans la brousse chez sa grand-mère, renouer avec les bonnes manières de ses ancêtres.
Là commence l'immersion dans un nouveau monde qu'il faut comprendre et apprivoiser.
Un très beau roman initiatique qui nous permet de mieux appréhender la culture africaine. Avec Hamet nous découvrons les parfums du Mali et apprenons à décrypter les coutumes d'une société patriarcale parfois injuste où le quotidien n'est pas toujours simple. Au-delà de l'histoire de ce petit garçon attachant, ce livre offre une analyse pertinente de la situation en Afrique et permet de mieux comprendre certaines raisons de l'exode de la jeunesse africaine, souvent au péril de sa vie.
Enfin ce roman est aussi l'occasion de s'immerger dans une très belle langue, la nôtre, délicieusement métamorphosée par la plume de Diadé Dembélé. Des métaphores hautes en couleurs, une écriture rythmée, un voyage en soi ! Vive la francophonie !
Je vous conseille également le très beau roman de Yamen Manaï "Bel Abime" et son regard affûté sur la société tunisienne.
A la fin du dix-neuvième siècle aux États-Unis, il ne fait pas bon être stérile pour les femmes. Ada, l’héroïne, l’apprend à ses dépens, elle est obligée de fuir son village pour préserver sa vie. Elle trouve refuge dans un couvent, un endroit clos où elle se sent rapidement à l’étroit, une opportunité s’offre alors à elle : rejoindre le gang du Kid et devenir Hors-la-loi.
Anna North, dans ce récit, dépoussière le genre du western et nous offre un nouvel éclairage sur le Far West : merveilleuse contrée où après avoir massacré les indien·nes on pend les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants. Au-delà de magnifiques descriptions des grands espaces américains, elle livre une fine analyse de la société de l’époque et de ses mœurs. Elle nous décrit comment la religion, et l’ignorance font de celles qui ne peuvent pas donner naissance des boucs émissaires sur lesquels se soulage le reste de la population de la dureté de leurs existences. Elle pose en cela une question fondamentale : faut-il obéir aux lois quand elles sont injustes ? Ou ne vaut-il pas mieux être Hors-la-loi ?
Enfin, en plus de régler son compte au vieux cliché du cowboy, figure de proue de la masculinité au vingtième siècle (RIP John Wayne), cet ouvrage revisite avec brio le genre du roman d’aventure et cultive avec maîtrise l’art du rebondissement. Un des premiers westerns, mené au galop, avec en toile de fond les prairies du Colorado et l’émancipation des femmes.
Il y a quelques années, dans un pays voisin, un homme qui aimait les carrés plus que tout prit le pouvoir par la force. Ce jour là, les rectangles, les ronds, les triangles, tous ceux qui n’étaient pas carrés, disparurent. Le pays sombra alors dans le malheur, jusqu’à ce qu’enfin… Ximo Abadia, talentueux auteur espagnol, nous raconte une histoire qui n’est certes pas la nôtre, mais dont le message est universel : celle de la liberté. Vous l’aurez compris, cet album parle, sans le nommer, du militaire Franco qui imposa de 1936 à 1975 un régime dictatorial en Espagne et fit de nombreuses victimes. Bien évidemment, l’auteur utilise l’art de la métaphore, de la parabole pour en livrer une version simplifiée mais efficace. Il dénonce ce drame, mais avertit également que le monde est fragile et qu’il peut vite, si l’on n’ y prend pas garde, sombrer facilement dans l’obscurantisme.
Ximo Abadia est un artiste à l’œuvre unique et reconnaissable entre toutes. Illustrateur graphiste, il joue avec les couleurs, les formes et les matières, rendant un ensemble étrange, mais cohérent, dynamique et époustouflant.
« Le Dictateur » est une œuvre de mémoire nécessaire et dont le positionnement est rare en littérature jeunesse.
Lorsqu’elle se réveille, Hilda n’est plus chez elle, ni vraiment elle-même. Elle est dans une grotte, chez les monstrueux Trolls. Pourtant, elle n’est pas en danger. Son corps s’est transformé, elle est devenue l’une de ces créatures effrayantes et passe totalement inaperçue. Que s’est-il passé ? Quelle est la raison de sa présence ici ? Et si l’occasion lui était donnée d’apprendre à connaître un peu mieux ce peuple dont on ignore tout ? Sixième et à priori dernier volume de la série Hilda, et comme dans les précédents tomes, on se régale à la lecture de ses aventures. Comme toujours, Luke Pearson nous plonge dans un univers étrange, mais toujours teinté de bienveillance. Cela est la force de ses récits, nul ne sait comment il y arrive, mais ouvrir un Hilda est une expérience à part. Peut-être cela est-il dû à un délicat mélange d’humour, de fantaisie, de fantastique et peut-être de mélancolie, mais toujours est-il que ses histoires, et celle-là encore plus, sont captivantes. Nous assistons à la fin d’une série, ou peut-être, espérons-le, simplement d’un cycle. Un clap de fin qui met en exergue la différence, la tolérance et la force de l’amitié. Tant de messages à transmettre à nos enfants, tant de messages dont on peu s’inspirer pour nous ouvrir aux autres. Les illustrations sont toujours aussi belles, même si depuis 2011 le trait de l’artiste anglais à quelque peu évolué, je vous encourage vivement à reprendre le premier tome. La gamme de couleurs pastels employée ajoute une atmosphère de douceur, de calme, de bien-être. « Hilda » est sans conteste l’une des meilleurs séries jeunesse de ces dix dernières années, alors partagez-là. Pour info, Hilda existe également en série animée sur la plateforme « Netflix ». - Michaël
Au petit matin, c'est la stupeur, la panique, l'effroi pour les habitant·es de la petite ville. D'étranges animaux sauvages ont fait leur apparition et apparemment, ils ne sont pas décidés à s'en aller... « La savane emménage » est un titre mignon tout plein, tant par son écriture que par ses illustrations ! L'histoire est pleine d'humour, mais construite autour d'un mystère dont le suspense va crescendo.
Sans trop, ni trop peu de texte, l'auteur trouve un équilibre parfait entre prose et illustration, permettant ainsi à ces deux types de narration d'être totalement complémentaires assurant une grande fluidité à l'histoire.
D'ailleurs, les illustrations sont merveilleuses. Elles revêtent à première vue un caractère simpliste, mais ne le sont absolument pas car pour arriver à un tel résultat, aussi expressif et dynamique, il faut une connaissance approfondie des arts graphiques et de la mise en scène. Bien au-delà, ce bel album traite d'un sujet important : la place de plus en plus étroite que notre société laisse au monde sauvage et animal et d'un équilibre, d'une cohabitation qu'il faudra bien arriver à trouver... - Michaël
Très loin d'ici, dans le Grand Nord, Nils et Anna écoutent leur papa leur raconter l'histoire de la baleine gigantesque, qui fait 6 fois la taille de leur maison. Leur papa l'a rencontrée une seule fois. Nils aussi veut la rencontrer, alors, il guette, il scrute, et un beau jour, décide de partir en kayak à sa recherche. Mais Anna n'a pas dit son dernier mot et monte à bord incognito ! Les deux enfants embarquent pour un magnifique voyage à travers les paysages glacés de l'Arctique... La mystérieuse baleine est un album empreint de poésie et d'invitation au voyage. A travers le voyage initiatique de Nils et Anna, le thème des relations entre frères et soeurs est très justement abordé. Les illustrations, dans les tons pastel, sont douces et rendent grâce aux couleurs extraordinaires de la mer et du ciel du Grand Nord. Cette belle et douce histoire est à déguster sous une couette, accompagné d'un chocolat chaud, en rêvant à ces endroits sur terre, lointains et extraordinaires
Eté 1913, Valdas a 15 ans, dans une riche demeure du bord de mer, sa vie se dessine. Le monde des adultes, auquel il n’appartient pas tout à fait, lui paraît être un vaste théâtre où tout n’est que faux-semblants, alors la nuit il s’enfuit renifler la côte, ses embruns, un parfum de liberté. Il y vit ses premiers émois et se confronte au monde extérieur, plus pauvre, plus dépouillé loin du confort de sa classe bourgeoise vaguement contestataire.
De retour à St Pétersbourg la vie s’emballe, une promesse de fiançailles, l’armée, la guerre, la révolution, le choix du mauvais camp, puis l’exil, Paris, la misère, une autre guerre et la solitude. Un siècle de barbarie dont il est le témoin, et au milieu de cet océan de cruauté, un écrin de beauté, une île où affleure l’amour. Une parenthèse de vingt jours d’un bonheur intense qui lui permettront toute sa vie de résister.
Voilà ce que raconte merveilleusement ce livre, comment un amour même éphémère peut être éternel. Comment dans un monde sauvage et violent, il vous donne la force d’être juste et bon, de rester humain.
Encore, un magnifique roman, tout en pudeur, d’Andreï Makine, dont la langue, si belle, si douce à l’oreille est un enchantement.